On ne cesse jamais de se soucier de l’image que l’on offre aux autres. Comment me voit-elle, la petite mignonne ? Comment me voient-ils, les chauffeurs du bus, que voient-ils ?
Un vieux bonhomme si seul, si désaffecté qu’il n’a pas d’autre ressource que de s’asseoir là, sur le banc de l’abribus, et d’attendre celui où celle qui viendra pour faire un brin de causette.
Ils s’en remettent à leurs yeux, ils emportent la vision d’une enveloppe usée, d’un corps qui s’appuie sur une canne pour avancer, ils s’en contentent, ils ne cherchent pas au-delà. Ils se fient à ce qu’ils voient, ils ignorent qu’au-dedans le cœur continue de trépigner dans sa petite cage, qu’il refuse de se laisser museler, qu’il mène sa sarabande et n’accorde jamais de repos.
Ils sont jeunes, pas de blâme, ils ne peuvent imaginer que le cœur ne vieillit pas, qu’il exige toujours, s’embrase toujours.
Dès lors que les autres nous voient vieux, nous classent dans la catégorie des vieux, nous sommes des damnés, nous basculons en enfer. Le moindre mal serait que l’enfer nous attende après la mort, mais non, le gouffre maudit s’ouvre sous nos pas dans la réalité des jours présents et nous en parcourons les dédales avec ce coeur qui ne vieillit pas, qui ne renonce pas.
Il n'est pas nécessaire de comprendre la beauté ( ... ) Il suffit de la recevoir et d'en être ébloui.
Je suis à la recherche de cette merveille, de ces notes d'or jaillies d'une gorge noire. j'aimerais obtenir l'assurance que je partage ce cadeau avec d'autres, que certains l'ont entendu, l'ont ECOUTE, comme moi.
Il arrive que nous soyons là tous les deux, la petite occupée à travailler sur la table de la grande salle, son matériel étalé devant elle, moi plus ou moins allongé dans ma méridienne avec un livre. Le plus souvent je finis par piquer du nez sur ma lecture et elle se lève alors sans bruit, quitte la pièce, s'en va musarder dans le jardin. Sitôt qu'elle s'éloigne, je me réveille comme si son absence modifiait de manière sensible la densité, la qualité de l'air qui m'entoure: du fond de mon sommeil, je sais qu'elle n'est plus près de moi.
Avant de connaître Andres, j'avais jamais eu l'occasion de discuter avec un vieux. Chez moi, on n'a pas ça en magasin : ni grand-père, ni grand-mère, ni oncle, ni tante. pas de père. Rien que ma mère et moi, une famille réduite à sa plus simple expression. (p. 34)
Je me suis tu. Le silence fait besoin après qu'on a prononcé certaines paroles.
... il m'explique qu'avec l'âge on a le sentiment de devenir un dépotoir, de contenir des fragments de miroirs brisés, des cristaux de glace, et que c'est très douloureux.
p.37
Des femmes qui ne sont pas faites pour la maternité, des femmes qui tiennent à leur carrière et qui ne vont pas y renoncer pour un moutard. Mettez-moi ça au féminin, vous verrez comme c’est rigolo : tout bébé, j’étais la moutarde qui montait au nez de ma mère...
Dès lors que les autres nous voient vieux, nous classent dans la catégorie des vieux, nous sommes des damnés, nous basculons en enfer... le gouffre maudit s’ouvre sous nos pas dans la réalité des jours présents et nous en parcourons les dédales avec ce cœur qui ne vieillit pas, qui ne renonce pas.
La vérité, c’est qu’on ignore tout du vieux type mais, comme chacun sait, le rien laisse beaucoup de place aux supputations, aux imaginations, aux présomptions. Le rien dérange, il agace...