Alors, à quoi sert de discuter en classe ? En tout premier lieu, discuter en classe sert à poser le problème en tant que problème. Pour différentes raisons, présentées ici en vrac, dans un ordre sans aucune intention hiérarchique, ces différents points étant trop impliqués les uns dans les autres.
- Premièrement, parce que, comme nous l’avons vu, le problème est la substance même des choses, l’esprit, l’essence et la vie de la matière. Aussi insaisissables soient-ils. Ainsi, en travaillant au corps les problèmes rencontrés au fil du temps, l’enseignant travaille sa propre pratique de la matière.
- Deuxièmement, parce que l’on travaille sur le rapport à la matière, ce qui
pourrait se nommer appropriation, qui n’est pas simple appendice, minime et secondaire. S’il n’est de rapport à la matière, il n’est plus de matière, mais uniquement des opérations ponctuelles dont l’apprentissage ne saura être ni transposé ni projeté, ou le sera seulement par « miracle ».
- Troisièmement, parce que l’on prend conscience de manière avivée des
difficultés rencontrées par les élèves dans leur apprentissage. Ce qui n’était que vague deviendra pour l’enseignant plus précis, ce qui n’était qu’intuitif se conceptualisera. Il assistera aux tâtonnements qui lui expliqueront mieux que n’importe quelle analyse ou étude théorique les points névralgiques de l’apprentissage.
- Quatrièmement, l’enseignant pourra travailler en direct sur ces difficultés,
ce qui lui permettra à la fois de les traiter et d’en approfondir leur compréhension.
- Cinquièmement, par le même processus, l’élève prendra conscience de la
nature de ses difficultés, il saisira mieux l’esprit de la matière et pénétrera plus avant sa substance.
On remarquera qu’au cours de ce processus, l’enseignant se met à l’épreuve, tout autant que l’élève. Il se confronte à lui-même par le biais de la matière, matière à laquelle il lui est conseillé périodiquement de redonner vie en son propre esprit. Épuisante perspective, certes… Pour cela, l’enseignant s’abstiendra d’utiliser en permanence des réponses toutes faites, même si celles-ci peuvent évidemment être utiles, en guise d’artefacts intérimaires. Au cours de l’échange, il est préférable de faire feu de tout bois : être prêt à se risquer sur les multiples chemins qui sont offerts, fussent-ils rocailleux et bourbeux ; ils le seront sans doute. Apprendre à perdre son temps, à savoir perdre son temps, car l’art de la promenade nécessite un don, qui n’est pas accordé d’office à tous, bien que chacun puisse s’y initier s’il en perçoit au moins le besoin.
Oscar Brenifier | Quatre enfants philosophent