Dijon a son "
De Brosses", comme Bordeaux a son "
Montesquieu". Ils sont contemporains, magistrats tous deux, écrivains. "Lettres familières sur l'Italie" et "
Lettres persanes" partagent une même écriture légère, ironique et fantaisiste. Mais pas de grand livre politique chez
De Brosses, à l'instar
de L'esprit des lois, qu'il lit et admire. En revanche, une multitudes de travaux savants : sur Salluste, qu'il poursuit à la trace en Italie, sur Herculanum, sur les langues, avec son Traité sur la formation mécanique des langues de 1765, sur les "dieux fétiches", dont il crée le concept (fétichisme). Historien, anthropologue, linguiste, prolixe académicien bourguignon, mais pas français : un procès qu'il a gagné contre
Voltaire lui vaut l'inimitié inextinguible de l'écrivain qui lui barre l'accès de la prestigieuse institution. Il est l'ami de Buffon, de Maupertuis et imprégné des Lumières de son siècle.
En ce qui concerne la magistrature, qui l'occupe aussi, il est conseiller (1730), président à mortier (1744) -comme
Montesquieu- et premier président (1775) au Parlement de Dijon. Petit homme chevelu et vibrionnant, selon le portrait de
Diderot, il s'intéresse à tout, même à son travail de magistrat. Mais il a une passion dévorante pour les
voyages lointains et les terres australes. Il déduit l'existence d'un continent austral d'un raisonnement aussi impeccable que faux : "Il n'est pas possible qu'il n'y ait dans une si vaste plage quelqu'immense continent de terre solide au Sud de l'Asie capable de tenir le globe en équilibre dans sa rotation et de servir de contrepoids à la masse de l'Asie septentrionale." (p. 13)
Il décide de recueillir tous les récits de voyage relatifs à son sujet, depuis Vespucci en 1501 jusqu'à le Hen-Brignon en 1747. Il crée les noms de Polynésie et d'Australasie. Il édite un vocabulaire tiré des langues de divers peuples austraux (pp. 410 - 420 du premier tome). Sa méthode est inédite. Il rassemble les récits, qu'il traduit ou fait traduire, met en forme, résume et classe selon les sujets et les lieux. Il dépouille les routiers, instructions nautiques de l'époque, documents souvent non imprimés, et pas toujours en français, que se passent les capitaines au long cours dans leurs expéditions lointaines. Les marins écrivent mal, mais avec assez de candeur, déclare-t-il en expliquant son travail, sans précédent, de compilation et de classification.
Cette anthologie encyclopédique a aussi d'autres objectifs., Il s'agit de convaincre du lourd investissement nécessaire à l'envoi d'une expédition.
De Brosses rédige la première partie de son livre comme une lettre de mission, sensible aux enjeux politiques et économiques de ces terres inconnues. L'expédition ne doit pas être laissée à l'initiative privée . Elle doit être organisée et financée par le Roi pour doter le royaume de richesse nouvelles et de colonies de peuplement. Son discours est un discours de la méthode maritime. Son recueil de récits de voyage est aussi une invocation à la recherche et à l'action.
Au delà du succès littéraire, notamment en Angleterre, ce livre aida Cook et Bougainville à monter leurs expéditions. Sur les conseils du Président de Brosses, Bougainville choisit le naturaliste Philibert Commerson pour l'accompagner. Les anglais Wallis et Carteret s'inspirent des directives de notre auteur. Les divisions géographiques qu'il invente sont adoptées par le géographe John Pinkerton (Géographie moderne -1802-). Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec qui croit découvrir le continent austral 12 février 1772 et s'en vante imprudemment devant le Roi, a dû regretter d'avoir sans doute trop lu
L Histoire des navigations aux terres australes !
Mais de Brosses, véhément encyclopédiste maritime, n'a pas le pied marin et n'aime pas la mer. Lors de son
voyage en Italie, il s'embarquer sur une felouque à Antibes. Dès que le vent se lève, devant Nice le 19 juin 1739, le voici aussitôt contraint de "régaler les sardines" :
"à peine fûmes-nous embarqués, que le vomissement de mer nous prit d'une belle manière. Je commençai la cérémonie, et j'eus l'avantage d'être le dernier à la finir. J'ai été le plus malade de tous [...] C'est à mon gré la moindre peine de la mer que le vomissement ; ce qu'il y a de plus difficile à supporter est l'abattement d'esprit, tel qu'on ne daigneroit pas tourner la tête pour sauver sa vie, et l'odeur affreuse que la mer vous porte au nez." Lettres familières sur l'Italie, Lettre IV , 28 juin 1739
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