Citations sur Souvenirs d'un pas grand-chose (103)
Les rêves de mon père ne devaient pas se réaliser. On attrapa le poivrot qui m'avait renversé et on le mit en prison. Il avait une femme et trois enfants mais pas de boulot. Un poivrot sans le sou que c'était. Il resta en prison pendant quelque temps mais mon père ne porta pas plainte.
Ainsi qu'il devait le dire : " Autant essayer de faire cracher du sang à un putain de navet de merde ! "
Je m'assis sur le canapé. Se soûler était agréable. Je décidai que j'aimerais toujours me soûler. Ça faisait disparaître ce qui était évident et peut-être qu'en réussissant à se tenir assez longtemps loin des évidences on évitait d'en devenir une soi-même.
La première chose dont je me souviens : j'étais sous quelque chose .Ce quelque chose était une table, je voyais un pied de table,je voyais les jambes des gens,et aussi un bout de la nappe qui pendait.
La merde, on y était tous ensemble, là, au beau milieu de l’énorme cuvette des chiottes de la vie. Une fois la chasse tirée, on en serait tous évacués.
J'étais pauvre et j'allais le rester. L'argent, je n'en n'avais pas particulièrement envie. Je ne savais pas ce que je voulais. Si, je le savais. Je voulais trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n'était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L'idée d'être quelque chose m'atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir.
Et puis je commençais à écrire.Je racontais l'histoire d'un aviateur allemand de la première guerre mondiale le baron von Himmlen. Il avait un Fokker rouge.Et n'était pas très aimé de ses camarades aviateurs.Il ne leur parlait pas.Il buvait seul et était seul quand il pilotait. Il ne s'intéressait pas aux femmes et pourtant ,elles l'adoraient ,toutes.( page 205).
J’aimais bien être tout seul. Un jour, je me retrouvai à jouer à un de mes petits jeux préférés. Il y avait une pendule avec une aiguille pour les secondes sur le dessus de la cheminée : il s’agissait de rester le plus longtemps possible sans respirer. Chaque fois que je m’y mettais, je faisais tomber mon record. Ça me faisait un mal de chien mais je n’en pouvais plus de fierté chaque fois que j’arrivais à tenir quelques secondes de plus.
Une fois que j’étais en train de passer devant eux en poussant la tondeuse, j’entendis ma mère dire à mon père :
« Tu vois, lui, il ne sue pas comme toi quand tu tonds la pelouse. Non mais regarde un peu comme il a l’air calme.
-CALME, LUI ? IL EST PAS CALME, IL EST MORT ! »
Lorsque je repassai devant lui, il ajouta :
« POUSSE-MOI CE TRUC UN PEU PLUS VITE ! ON DIRAIT UN ESCARGOT ! »
Je poussai la tondeuse un peu plus vite. C’était dur mais ça me faisait du bien. J’accélérai encore. J’allai de plus en plus vite. Je courais presque. L’herbe s’envolait si fort qu’elle passait au-dessus du bac. Je savais que ça allait le mettre en colère.
« ESPECE DE FILS DE PUTE ! » hurla-t-il.
Il reversa une tournée, que nous avalâmes.
L'éventreur se leva, alla jusqu'à la porte du fond, l'ouvrit et regarda la nuit.
- Hé! l’Éventreur, mais qu'est-ce que tu glandes? lui demanda le puant.
-J'regarde voir si c'est pleine lune.
- Ah! ouais?et alors?
Il n'y eut pas de réponse.Tous, nous l’entendîmes s’effondrer dans l'encadrement de la porte, dégringoler les marches et disparaître dans les buissons. Nous l'y laissâmes.
Je voulais trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n' était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L' idée d' être quelque chose m' atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir.