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Citations sur Le Premier Homme (246)

Ils continuaient de vivre de la nécessité, bien qu'ils ne fussent plus dans le besoin, mais l'habitude était prise, et aussi une méfiance résignée à l'égard de la vie, qu'ils aimaient animalement mais dont ils savaient par expérience qu'elle accouche régulièrement du malheur sans même avoir donné de signes qu'elle le portait.
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La mer était douce, tiède, le soleil léger maintenant sur les têtes mouillées, et la gloire de la lumière emplissait ces jeunes corps d'une joie qui les faisaient crier sans arrêt. Ils régnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus fastueux , ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurés de leurs richesses irremplaçables.
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[…] il s’était évadé, il respirait, sur le grand dos de la mer, il respirait par vagues, sous le grand balancement du soleil, il pouvait enfin dormir et revenir à l’enfance dont il n’avait jamais guéri, à ce secret de lumière, de pauvreté chaleureuse qui l’avait aidé à vivre et à tout vaincre.
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Au-dessus de la carriole qui roulait sur une route caillouteuse, de gros et épais nuages filaient vers l'est dans le crépuscule. Trois jours auparavant, ils s'étaient gonflés au-dessus de l'Atlantique, avaient attendu le vent d'ouest, puis s'étaient ébranlés, lentement d'abord et de plus en plus vite, avaient survolé les eaux phosphorescentes de l'automne, droit vers le continent, s'étaient effilochés aux crêtes marocaines, reformés en troupeaux sur les hauts plateaux d'Algérie, et maintenant, aux approches de la frontière tunisienne, essayaient de gagner la mer Tyrrhénienne pour s'y perdre.
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Oh! oui, c'était ainsi, la vie de cet enfant avait été ainsi, la vie avait été ainsi dans l'île pauvre du quartier, liée par la nécessité toute nue, au milieu d'une famille infirme et ignorante, avec son jeune sang grondant, un appétit dévorant de la vie, l'intelligence farouche et avide, et tout au long un délire de joie coupé par les brusques coups d'arrêt que lui infligeait un monde inconnu, le laissant alors décontenancé, mais vite repris, cherchant à comprendre, à savoir, à assimiler ce monde qu'il ne connaissait pas, et l'assimilant en effet parce qu'il l'abordait avidement, sans essayer de s'y faufiler, avec bonne volonté mais sans bassesse, et sans jamais manquer finalement d'une certitude tranquille, une assurance oui, puisqu'elle assurait qu'il parviendrait à tout ce qu'il voulait et que rien, jamais, ne lui serait impossible de ce qui est de ce monde et de ce monde seulement, se préparant (et préparé aussi par la nudité de son enfance) à se trouver à sa place partout, parce qu'il ne désirait aucune place, mais seulement la joie, les êtres libres, la force et tout ce que la vie a de bon, de mystérieux et qui ne s'achète ni ne s'achètera jamais.
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Les manuels étaient toujours ceux qui étaient en usage dans la métropole. Et ces enfants qui ne connaissaient que le sirocco, la poussière, les averses prodigieuses et brèves, le sable des plages et la mer en flammes sous le soleil, lisaient avec application, faisant sonner les virgules et les points, des récits pour eux mythiques où des enfants à bonnet et cache-nez de laine, les pieds chaussés de sabots, rentraient chez eux dans le froid glacé en traînant des fagots sur des chemins couverts de neige, jusqu'à ce qu'ils aperçoivent le toit enneigé de la maison où la cheminée qui fumait leur faisait savoir que la soupe aux pois cuisait dans l'âtre. Pour Jacques, ces récits étaient l'exotisme même. Il en rêvait, peuplait ses rédactions de descriptions d'un monde qu'il n'avait jamais vu, et ne cessait de questionner sa grand-mère sur une chute de neige qui avait eu lieu pendant une heure vingt ans auparavant sur la région d'Alger. Ces récits faisaient partie pour lui de la puissante poésie de l'école, qui s'alimentait aussi de l'odeur de vernis des règles et des plumiers, de la saveur délicieuse de la bretelle de son cartable qu'il mâchouillait longuement en peinant sur son travail, de l'odeur amère et rêche de l'encre violette, surtout lorsque son tour était venu d'emplir les encriers avec une énorme bouteille sombre dans le bouchon duquel un tube de verre coudé était enfoncé, et Jacques reniflait avec bonheur l'orifice du tube, du doux contact des pages lisses et glacées de certains livres, d'où montait aussi une bonne odeur d'imprimerie et de colle, et, les jours de pluie enfin, de cette odeur de laine mouillée qui montait des cabans de laine au fond de la salle et qui était comme la préfiguration de cet univers édénique où les enfants en sabots et en bonnet de laine couraient à travers la neige vers la maison chaude."
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Il allait dire : "Tu es très belle" et s'arrêta. Il avait toujours pensé cela de sa mère et n'avait jamais osé le lui dire. Non pas qu'il craignît d'être rebuté ou doutât qu'un tel compliment pût lui faire plaisir. Mais c'eût été franchir la barrière invisible derrière laquelle toute sa vie il l'avait vue retranchée - douce, polie, conciliante, passive même, et cependant jamais conquise par rien ni personne, isolée dans sa demi-surdité, ses difficultés de langage, belle certainement mais à peu près inaccessible et d'autant plus qu'elle était plus souriante et que son cœur à lui s'élançait plus vers elle - oui, toute sa vie, elle avait gardé le même air craintif et soumis et, cependant, distant, le même regard dont elle voyait, trente ans auparavant, sans intervenir, sa mère battre à la cravache Jacques, elle qui n'avait jamais touché ni même vraiment grondé ses enfants, elle dont on ne pouvait douter que ces coups ne la meurtrissaient aussi mais qui, empêchée d'intervenir par la fatigue, l'infirmité de l'expression et le respect dû à sa mère, laissait faire, endurait à longueur de jours et d'années, endurait les coups pour ses enfants, comme elle endurait pour elle-même la dure journée de travail au service des autres, les parquets lavés à genoux, la vie sans homme et sans consolation au milieu des reliefs graisseux et du linge sale des autres, les longs jours de peine ajoutés les uns aux autres pour faire une vie qui, à force d'être privée d'espoir, devenait aussi une vie sans ressentiment d'aucune sorte, ignorante, obstinée, résignée enfin à toutes les souffrances, les siennes comme celles des autres.
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...la pauvreté et l'ignorance rendaient la vie plus dure, plus morne, comme refermée sur elle-même ; la misère est une forteresse sans pont-levis.
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La Méditerranée séparait en moi deux univers, l'un où dans des espaces mesurés les souvenirs et les noms étaient conservés, l'autre où le vent de sable effaçait les traces des hommes sur de grands espaces.
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Ce qui nous sauve de nos pires douleurs, c'est ce sentiment d'être abandonné et seul, mais pas assez seul cependant pour que "les autres" ne nous "considèrent" pas dans notre malheur. C'est dans ce sens que nos minutes de bonheur sont parfois celles où le sentiment de notre abandon nous gonfle et nous soulève dans une tristesse sans fin. Dans ce sens aussi que le bonheur souvent n'est que le sentiment apitoyé de notre malheur.

Feuillet IV
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