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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
S'émerveillerS'émerveiller de tout et de rien, s'émerveiller des tout petits riens, du temps qu'il fait, d'un oiseau qui chante, d'une musique entendue, d'un instant de solitude, de la beauté d'un paysage, d'une fleur, d'un tableau ou d'un texte… S'émerveiller comme un enfant, retrouver cette disponibilité de l'âme, cette innocence. S'émerveiller comme une disposition intérieure, une façon nouvelle d'être au monde.

Ce que nous rappelle Belinda Cannone dans ce très bel essai en forme de variation sur la discipline de « l'instant présent », nous le savons déjà, mais ce rappel est important : la beauté, la valeur des choses et des êtres n'existent pas en tant que telles – c'est le regard qui se pose sur elles qui les crée, et si nous voulons accueillir à coeur ouvert les merveilles que le monde est prêt à nous offrir, c'est à nous et à nous seuls qu'il incombe d'être attentifs, concentrés, intenses, dans la pleine présence à l'instant.

Etre capables de réaliser cette alchimie secrète, cette oeuvre au noir spirituelle qui transmue l'anodin en événement, le banal en merveille, c'est ce à quoi nous convie ce petit livre de Belinda Cannone, « S'émerveiller », très joliment illustré de belles photographies. Un essai d'une certaine densité mais d'une écriture fluide, avec des accents qui évoquent souvent Christian Bobin ou René Frégni, et que j'ai lu avec un réel bonheur.

Un livre qui ressource et qui fait du bien. A lire, à relire, et à offrir autour de soi…
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S'émerveiller

il peut sembler décalé voire stupidement provocateur de s'abandonner à cet état d'esprit alors que le monde entier est plongé dans une terrible crise sanitaire, et que se profilent des crises économiques, sociales, environnementales, qui s'annoncent au moins aussi virulentes.

Mais précisément la lecture et l'appréhension de ce livre s'avèrent plus que jamais pertinents et bienfaisants et ce davantage encore que lors de sa sortie en 2017. Ce n'est pas la moindre de ses qualités.

L'auteure, Belinda Cannone, est une signature de qualité sur le terrain romanesque et avec des essais lumineux, comme son petit bijou « Petit éloge du désir ».

L'émerveillement est un puissant antidote, contre hier ce que l'on désignait par nihilisme et aujourd'hui l'enténèbrement, qui travaille les corps, les esprits les sociétés ; enténébrement qui n'a pas attendu l'apparition du coronavirus pour être à l'oeuvre.

« Et cependant dans ce risque d'enténebrement, il faut persister à évoquer l'émerveillement, car l'idée d'un bonheur ici et maintenant, le respect de chaque vie précaire, précieuse et susceptible d'accueillir les plaisirs, ceux-ci n'étant pas moins dignes que le travail et l'effort, sont précisément la marque d'une philosophie générale de l'existence qui distingue le monde que nous défendons.
Faire du bonheur et du plaisir, soutenus par le labeur et la construction, les buts de l'existence humaine, constitue une idée d'une force philosophique extraordinaire. C'est sous ces auspices que nous avons inventé les meilleures de nos valeurs. » (p. 25 et 26)

L'émerveillement n'est pas la béatitude et encore moins le recueillement simplet devant la crèche.

« S'émerveiller c'est d'abord saisir la présence des choses et des êtres. » (p. 85).

Etre disponible pour le kairos, l'instant opportun, disponibilité qui suppose aussi être dans un autre rapport au chronos, au temps, vivre dans une certaine lenteur.

L'émerveillement correspond à des ressorts intimes, au regard que l'on pose sur ces êtres, ces choses qui nous transportent. Il ne s'agit pas par conséquent d'éblouissement face à un « beau » spectacle, qui s'impose, comme ces belles concrétions minérales contemplées par l'auteure lors de la visite d'une grotte.

Et l'émerveillement doit être élu, et cette élection sera intime ; l'émerveillement par excellence est celui offert par l'Amour, le désir qui rendent l'être aimé(e), l'instant uniques. « Le désir général de vivre,comme celui plus aigu, d'aimer, est une réponse à l'enténébrement. » (p. 28)

Permettre la rencontre, permettre ce qu' André Breton qualifiait de hasard objectif :« Un hasard n'est souvent qu'une vigilance inconsciente .» (p.30), la vigilance poétique.

Ainsi l'émerveillement fonctionne dans le sens opposé à l'élévation platonicien du « Banquet » qui pose la solidarité entre la Beauté pure des corps, prédéfinie par des canons esthétiques, seuil d'entrée à la connaissance et la Beauté comme idéal.
Bélinda Cannone renverse le flux émotionnel, un peu dans l'esprit de Spinoza qui considère que c'est parce que je désire une chose qu'elle est bonne et ce n'est pas parce qu'elle est bonne que je la désire. C'est moi qui convoque la beauté telle que je la perçois intimement et qui vit l'épiphanie de l'instant, du lieu, de l'être sorti de l'ombre.

Dans cet esprit, pour Jung dans son magistral « L'âme et la vie », « La beauté ne réside pas dans les choses mais dans le sentiment que nous conférons aux choses. » (p. 136)

On peut aussi déceler des affinités plus contemporaines avec Cynthia Fleury (« Les irremplaçables ») et la regrettée Anne Dufourmentelle («Défense du secret »). Pour Cynthia Fleury, cultiver l'individuation est le salut avec la rencontre avec soi-même L'« imagino vera », l'imagination vraie, contre le « pressium doloris », le prix de la douleur, de l'entreprise de la désolation de notre société et ses pouvoirs aliénants. Anne Dufourmnatelle dénonçait aussi dans un passage que Bélinda Cannone aurait pu écrire, décrire, cet ère de « glaciation douce, » « d'anesthésie continuelle ». Résister à la terreur par le secret, l'émerveillement.

Un sentiment océanique…cet instant d'harmonie ouvrant sur le merveilleux.

Cette intensité océanique, l'auteure confie l'avoir rencontrée en trois lieux très privilégiés, dans les Alpes, dans le massif de l'Oisans, en Corse dans la vallée de la Restonica et en Egypte sur le Nil à Elephantine.

« Mon hypothèse-que l'émerveillement aurait pour horizon le sentiment océanique-tient compte du fait que , comme tout mouvement vers l‘horizon, l'émerveillement se manifeste sur le mode d e l'asymptote : tendant vers le sentiment océanique et ne l'atteignant jamais. » (p. 69) 

A un niveau très personnel j'ai été très réceptif à ces évocations de Belinda Cannone, sauf pour Elephantine, terra incognita.

L'Oisans, quelques souvenirs et autant dans cette vallée de la Restonica à une époque où on pouvait y dormir seul, avec le ciel étoilé comme toit et les flots joyeux et turbulents du torrent comme réveil. Intimidé, impressionné autant qu'émerveillé, tout près de l'éprouvante brèche du Capitello à franchir ; difficile de ne pas avoir ressenti des échos apparentés à ce sentiment océanique.

L'émerveillement ne se limite pas à l'intime naturaliste et Belinda Cannone met en lumière aussi des comportements émerveillants, comme Germaine Tillon fait preuve dans l'enfer de la déportation à Ravensbrück. Cette haute figure qui a puisé dans son écriture le moyen de survivre, écriture pour elle mais aussi pour ses camarades d'infortune avec cette création tragicomique hallucinante, le tout évidemment avec une prise de risques terrifiante.

Enfin, l'univers de la poésie chinoise est également convoqué, pas pour faire joli mais parce qu'il exprime par la beauté, la densité de ses mots, sans doute mieux que toute autre forme poétique littéraire, cet émerveillement « conducteur de réalité », de réalité révélatrice.

Laissez-vous émerveiller par l'écriture de Belinda Cannone, plus que jamais l'instant à saisir.
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« S'émerveiller » Belinda Cannone (Stock, 187 pages)
S'émerveiller donc, encore, de l'écriture de Belinda Cannone, de sa langue travaillée sans en avoir l'air, harmonieuse autant que rigoureuse. Voilà un bon et beau livre, où les photos en noir et blanc sont les articulations de la réflexion. Aucune raison de se lasser, bien au contraire, mais ici lire et réfléchir avec elle à cet existentiel et contagieux appétit de vivre, à une capacité à s'étonner, à accueillir les petites et grandes beautés du monde, ce monde qui est fait de la nature et des hommes. On est heureusement loin d'une prose «feel-good» à la mode, de ces injonctions et recettes de bonheurs préfabriqués en promotion dont sont garnis les rayons des «espaces culturels» des supermarchés, et qui veulent nous transformer en «ravis de la crèche». Ce livre est un regard philosophique, dense autant que poétique sur la capacité à accueillir le merveilleux dans ses différentes dimensions. Un émerveillement qui ne vient pas de la beauté de l'objet, mais de la capacité du regard, du «regardeur». Ne rien renier des horreurs du monde, en particulier dans l'histoire récente, mais être capable d'accepter l'émerveillement, sachant que devant nous, il peut y avoir pire qu'hier.
Ce «Regarde, regarde», ce besoin de partager le regard émerveillé face au beau minuscule ou au cosmos infini est partout dans l'expérience de l'auteur, héritage peut-être de son père. Cette capacité à recevoir est donc générosité, capacité à offrir, «l'émerveillement est un mouvement littéralement altruiste.» Elle peut pourtant appeler un retour sur soi, une intériorité qui a parfois besoin de solitude. Elle ne s'inscrit pas forcément dans du gigantesque, elle se nourrit aussi de ces petits riens (un souffle de vent, un arbre, un oiseau). Mais parfois, l'émerveillement poussé à l'extrême est aussi immersion totale (dans des paysages grandioses, par exemple en montagne). Cet émerveillement, parfois éblouissement, peut advenir par surprise, nous saisir. Il est donc affaire de circonstances, de disponibilité, il nous fait sortir de notre route, il faut y être prêt, il est source pure (mais pas exclusive bien sûr) de création artistique. Belinda Cannone appelle «sentiment océanique» cette sensation que peut provoquer parfois en elle cette immersion dans le beau du monde. L'émerveillement exige de prendre le temps. Être, c'est être au présent.
L'émerveillement, avec sa part d'enfance, d'inutilité, en témoignent par exemple les immenses structures articulées que le sculpteur Théo Janssen déploie au vent sur les plages de la Mer du Nord, ces bêtes de plage, ces «strandbeests» qu'on peut découvrir dans de petites vidéos sur internet. Mais aussi la haie de son jardin, l'épaule de l'amant…
L'essai convoque vers la fin deux références. D'abord la photo d'une foule d'un bloc qui salue Hitler d'un bras levé durant une cérémonie nazie en 1936, et au milieu de laquelle August Landmesseur, ouvrier allemand, garde seul et ostensiblement les bras croisés sur la poitrine ; image saisissante et tout à la fois rassurante sur les ressources de l'humanité. Et le bref rappel du parcours de Germaine Tillon, résistante de toute une vie, et qui, par la générosité de sa colère, survécut au camp de Ravensbrück. Deux évocations qui renvoient elles aussi au sublime, et à la modestie de ceux qui résistent. «- J'ai compris que la question du sens de l'existence s'annulait (se dissolvait) dans la joie de vivre, dans le désir qui nous lance vers l'avant». Désir, le maître mot de Belinda Cannone ?
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L'idéal serait de lire tous les livres de Belinda Cannone, une pensée solaire qui ne saurait se laisser enfermer dans des catégories "roman" ou "essai". C'est tout à la fois, de la philosophie, de la poésie, de l'humanité. S'émerveiller est un livre doué d'intelligence et de beauté qui deviendra un compagnon de route fidèle de tous les lecteurs qui auront eu la chance de le découvrir!
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Je lis ce livre avec délice, c'est un essai qui encourage, fortifie, aide à mieux vivre, un "faire-part" de partage... , généreux, à l'écriture dense et aussi légère . Un grand plaisir à lire, relire, méditer, et ensuite il ne reste qu'à "s'émerveiller" .... Merci pour ce beau texte.
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