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EAN : SIE194510_203
(30/11/-1)
4/5   2 notes
Résumé :
à lire notamment sur :
https://fr.wikisource.org/wiki/Qui_perd_gagne_(Capus)
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Voici une association hasardeuse mais heureuse de trentenaires parisiens :

« S'aimaient-ils, les deux époux de ce ménage hasardeux ? Ils n'étaient ni l'un ni l'autre de nature à se poser cette question.
(...)
"Ils se plaisaient l'un à l'autre beaucoup et n'avaient pas, au courant de leurs nuits communes, une minute de regret ni d'amertume : lui, délivré enfin de l'écoeurement de ses amours ordinaires ; elle, désennuyée par la bonne humeur de Farjolle et le sans-gêne de ses façons."
(...) Ils ne s'ennuyaient pas ensemble et s'embrassaient parfois violemment. Mais les étreintes ne leur laissaient pas cette reconnaissance attendrie qui semble le sillage de l'amour. Ils n'y prenaient qu'un plaisir instantané, sitôt disparu, délayé dans les préoccupations quotidiennes. »

On suit principalement un homme humble et moyen, habilement aidé par son épouse, dans l'univers impénétrable des journaux et des agences publicitaires, où le succès ne semble pas toujours être le fruit du talent ou du mérite, mais plutôt de la patience et de la flexibilité.
Ainsi en est-il de M. Farjolle, qui, sans être spécialement supérieur aux autres, sait se montrer patient et courbé, prêt à toutes les concessions pour gravir les échelons du pouvoir, de l'influence.
Et quoi de mieux pour cela que de s'afficher en compagnie des personnalités excentriques et des gros poissons du monde des affaires, ou encore de présenter sa belle épouse à tous les événements mondains ?

Un hasard le fait entrer au cercle d'hommes d'affaires :

« Déjeunez donc avec nous, en attendant. Comment se fait-il qu'on ne vous rencontre jamais, vous ? Rangé ? » (Rangé signifiant marié)

Monsieur Farjolle, homme sérieux, inspire confiance à tous ceux qui le côtoient. Pourrait-il être tenté par l'adultère facile, les plaisirs futiles, les duels ou encore les réparties cinglantes et provocatrices ? Jamais… Il est d'une stabilité émotionnelle sans pareil, et cette vertu lui vaut l'admiration de ses pairs du cercle d'affaires. Ces derniers, pourtant, sont de véritables Rabelaisiens affairistes, toujours prêts à rire à gorge déployée et à changer d'avis au gré de leurs intérêts. Surtout avec les femmes…

Son épouse est une parfaite femme du monde bien qu'elle n'ait pas de fortune, ni de réputation. Accompagnant son époux dans les cercles financiers de Paris, elle s'efforce de ne pas passer pour une épouse naïve et soumise, éclate de rire lorsque l'une des cocottes mondaines tourne ouvertement en dérision leur mariage, qualifié de « vrai collage ! » …

Dans ce monde étrange, les règles sont bien particulières : on s'insulte pour le plaisir, on se provoque en duel pour des futilités, et l'on règle ensuite les différends entre ennemis par des éclats de rire. On courtise la maîtresse de son ami sans la moindre gêne, avec une désinvolture toute aristocratique.

« Mon cher, j'ai trompé Verugna avec toutes ses maîtresses, je ne vais pas faire une exception pour Joséphine, qui est une des plus gentilles. »

Ou l'on joue le bluff avec des paroles tranchantes, oscillant entre la colère et le rire :

"Espèce de crétin, est-ce que tu crois que si je te trompais, je m'en cacherais ? Mais je te l'aurais dit le jour même, espèce d'abruti ! Je te tromperai si je veux, d'abord : ça ne te regarde pas."

Des propos brutaux qui réjouissent souvent l'interlocuteur :

« Ce langage avait le privilège de ravir Verugna dont la bonne humeur reparut immédiatement. »

Toujours prêt à lancer des piques acérées, jamais enclin à s'excuser, même pris la main dans le sac :

« — Tu ne vas pas te fâcher, espèce d'idiot, je suppose ? fit Brasier, très calme.
— Donne-la-lui, la paire de gifles, reprit Brasier, et que ce soit fini ! Tu fais le fanfaron, tu cries partout que tu te fiches pas mal d'être trompé par tes amis, et puis tu es comme les autres. Tiens ! tu as l'air d'un mari, pouah !
Verugna fut scandalisé.
— J'ai l'air d'un mari, moi !
(…)
Verugna eut un accès de ce rire particulier qui donnait un caractère enfantin aux choses les plus répugnantes qu'il faisait.
— Ah ! ah ! il ne te reste qu'à m'avouer combien de fois vous m'avez trompé ?
Joséphine intervint, se rapprocha de son amant, complètement rassurée sur l'issue de cette aventure :
— Très peu de fois, mon coco. Ce n'est pas la peine d'en parler.
— Je vais même aller jusqu'au bout dans la voie des aveux, continua Brasier… Oui, mon vieux, j'ai encore quelques pénibles confidences à te faire sur le passé.
— Horreur ! s'écria Verugna, m'aurais-tu trompé avec Augustine ? Je m'en doutais… »

Ces messieurs n'ont même aucun scrupule à s'échanger leurs maîtresses comme des cartes de visite, n'en faisant qu'une simple formalité. Et les dames, de leur côté, se plient à cette mascarade avec une hypocrisie pleine de grâce :
« les deux femmes se parlaient comme autrefois et prenaient le bras de leurs amants sans commettre la moindre erreur. »

Et forcément, la sublime femme de M. Farjolle, très remarquée, est courtisée dans les salons parisiens où l'on danse :

« — Oui, je pense à vous toute la journée et je suis amoureux de vous.
Il fit un faux pas et manqua la mesure. Emma lui répondit, en souriant :
— Eh bien, que voulez-vous que j'y fasse ? (Velard rattrapa la mesure)
— Je veux que vous ne me désespériez pas tout à fait… Que vous me laissiez entendre qu'un jour ou l'autre, si je suis bien gentil…
— Je tromperai mon mari ? Je ne l'ai pas encore trompé, mon mari, vous savez ?
— Tant mieux ! dit-il.
Elle ne répliqua rien ; il continua :
— Vraiment ? Vous ne voudrez jamais, jamais ?
— Je l'ignore, monsieur Velard, nous verrons plus tard… »

Emma s'abandonne nonchalamment aux visites régulières d'un amant, sachant pertinemment que cette liaison pourrait propulser son couple vers de nouveaux horizons au sein du monde impitoyable des affaires, en charmant les coeurs et les intérêts des brutaux financiers.
Elle trompe son mari, mais avec une telle douceur, une telle désinvolture et une telle révérence que l'on se demande où est le mal dans cette conduite.

« Pour Emma, ses rendez-vous avec Velard, au café, ne constituaient pas un acte anormal dans un ménage régulier. Elle ne se montrait envers son mari ni moins attentive ni moins bonne conseillère. Souvent elle pensait à Farjolle, au bras de Velard ; rarement à Velard, dès qu'elle entrait dans son appartement soigné et convenable.
Velard était, pour le moment, un but de promenade, une distraction au dehors. »
(…)
« Elle n'éprouvait pourtant aucun remords à le tromper. Mais plutôt que de lui causer le moindre tourment, de l'agiter du moindre soupçon, elle eût préféré renoncer complètement aux distractions de l'adultère. Elle le trompait avec des délicatesses infinies, avec la même attention qu'elle mettait le matin à marcher dans la chambre sur la pointe des pieds, afin de ne pas troubler son sommeil. »

M. Farjolle est un époux d'une docilité exemplaire, qui se fond entièrement dans l'insouciance ambiante. Il semble avoir oublié jusqu'à l'existence de sa femme, préférant vaquer à ses nombreuses affaires ou visites, aussi futiles soient-elles. On pourrait presque croire qu'il la laisse dériver vers d'autres bras sans broncher, tant son indifférence est grande…

« — Vraiment, tu ne te méfies pas de Velard ?
— Ni de Velard ni de personne… D'ailleurs, mon cher, les affaires de ménage ne sont rien en comparaison des autres affaires…
— Parbleu ! tu es le plus sage de tous, et ce Brasier est une brute.
— C'est Brasier qui vous a dit ?…
— Oui, il prétend que ta femme te trompe avec Velard.
Farjolle, sans aucune émotion, répondit :
— Brasier est idiot, mais je ne lui en veux pas. Il a la manie du débinage. À part ça, il n'est pas méchant. Allons donc dîner. En mangeant je vous toucherai un mot d'une idée qui m'est venue.
— Je t'adore, Farjolle. Noëlle dîne avec nous. Nous t'accompagnerons à la gare. (…) »

Il s'est brièvement forgé une image d'homme fiable et digne de confiance, lançant même son propre journal financier et se voyant remettre des fonds considérables par un membre du cercle :

« Il était impossible de se méfier de Farjolle. On ne pouvait pas dire : « Il a l'air intelligent, » ou : « Il a l'air spirituel, » ou « Il a l'air canaille. » Il n'avait spécialement aucun air déterminé ; mais dès qu'on causait cinq minutes avec lui, une réflexion vous venait : « Voilà un homme en qui j'aurais confiance. » Les gens les plus circonspects, les plus froids, subissaient cette impression. Brasier déclara que de tous les hommes d'affaires qu'il fréquentait, Farjolle lui semblait le seul peut-être incapable de faire un pouf. »

Mais la bourse est terrible même pour les plus sages. Une réputation bien établie peut servir d'assurance, permettant d'emprunter des fonds qui seront remboursés régulièrement :
« Il avait dans cette maison un certain crédit, à cause de ses relations connues avec le directeur de l'Informé (journal boursier) et de sa réputation d'honorabilité. »

Perdre n'est jamais grave tant qu'on maintient cette honorabilité de façade :
« Farjolle ne se désespéra pas, et se montra, au contraire, très énergique en cette circonstance. L'important était de conserver son crédit, de ne pas faire un pouf ridicule pour quelques billets de mille, de garder son attitude d'homme correct dans les affaires. Il avait dans sa caisse les titres de rente du commandant Baret, qui lui parurent tout désignés pour le tirer de ce léger embarras. La confiance du commandant était absolue. Il ne réclamerait pas ses fonds avant longtemps, pourvu que Farjolle lui en servît le revenu. »

Mais lorsque les pertes s'accumulent, et que, acculé par les micro-emprunts financiers, les ressources propres viennent à manquer, on est parfois tenté de puiser illégalement dans des fonds qui ont été déposés...
Le malheur s'abat sur ce cher Farjolle, contraint de rendre des comptes bien avant l'heure, incapable de restituer les fonds confiés et ses amis du cercle ne manquent pas de réagir à cette nouvelle dramatique avec l'hilarité la plus totale :

« — Sacré Farjolle ! il ferait une tête en prison… J'irais le voir certainement, et toi ?
— Moi aussi… j'ai un principe : ne jamais lâcher les camarades dans le malheur.
Leur hilarité ne connut plus de bornes. Verugna surtout se tordait, avec des éclats de rire d'enfant devant la baraque d'un guignol.
— Ah ! ah ! Farjolle à Mazas (la prison) ! Ah ! ah ! j'ai tout de même de la sympathie pour lui. Si je les lui prêtais, les cinquante mille francs ?
— Ce serait une solution, fit observer Brasier.
— Oui, mais si je les lui prête, qui est-ce qui me prouve qu'il ne recommencera pas demain ? Et puis, mon cher, du moment que Farjolle n'est pas sérieux, il ne m'amuse plus : je lui ai rendu assez de services… »

Emma finit par trouver une issue à la crise financière qui menace son couple. Comment ? En obtenant les faveurs d'un richissime banquier, membre éminent du cercle, avec une grande dose d'ambiguïté, bien sûr.
Trompant son mari avec grâce et sans se déshonorer outre mesure, elle parvient à obtenir des sommes gigantesques de cet homme qui prend soin de ménager ses sentiments :

« Il ne fréquentait guère le monde, avait la famille en horreur, ne se plaisait que dans ce milieu de collages vagues, de boulevardiers, de noceurs et de filles où Moussac était une personnalité. Il fut étonné d'y rencontrer une femme comme Emma et, peu à peu, sans presque s'en apercevoir, arriva à la désirer. La catastrophe de Farjolle lui parut une occasion favorable. Peut-être n'aurait-il jamais essayé, malgré son cynisme, d'acheter Emma, bourgeoise rangée, régulière et modeste ; mais cette circonstance le décida. Il ne voulut pas la marchander, tenant à se montrer généreux et indifférent à l'argent, offrant une somme qui serait une excuse. »

Et ainsi, tout finit bien dans cette société corrompue où l'argent et les bonnes relations sont les seules valeurs qui comptent, la morale et la dignité n'étant que des concepts lointains et désuets :

« — C'est un chèque… un chèque de deux cent mille francs sur la banque…
Il lut la signature.
— Letourneur ! fit-il, extrêmement surpris…
— C'est à nous, mon chéri, murmura-t-elle.
— À nous ?
— Oui.
— Letourneur t'a donné deux cent mille francs ?
Elle était toute pâle. Elle leva vers Farjolle des yeux où de grosses larmes brillaient, et balbutia :
— Ne te fâche pas, je t'en supplie.
Il devina et devint subitement très rouge.
— Ah ! dit-il, en froissant le chèque avec la main, sans colère, je comprends…
Il dégagea brusquement son bras et se mit à marcher droit devant lui, les regards fixés à terre.
Emma resta d'abord immobile, stupéfaite. Puis, instinctivement, elle le suivit, répétant : « Voyons, mon chéri, voyons. » Farjolle ne répondait point… elle hâta le pas, le rejoignit.
Il avait les sourcils froncés, l'air ennuyé. Elle se serra contre lui, ressaisit son bras.
— Voyons, mon chéri, voyons…
Il répliqua froidement :
— Eh bien ! reprends ça, c'est à toi.
— Mon chéri, mon pauvre chéri, tu étais si malheureux … J'ai voulu te sauver… Je t'aime tant… Je t'adore, va, mon chéri… Je n'ai pensé qu'à toi.
Troublé, il répondit :
— Oui, j'ai été bien malheureux.
— Puisque je n'aime que toi, continua Emma, gardons-le, cet argent. Nous resterons chez nous… ici. Il se retourna machinalement du côté de la ferme.
— Ce que Paris me dégoûte ! »

Drôle d'exclamation contradictoire dans la bouche d'un individu poursuivi tout récemment pour une escroquerie avérée !…

Avec le fruit de tous ces arrangements douteux, Ils se sont établis dans une maison d'artiste, nichée près de Paris, en ayant acquitté les dettes et disposant même de rentes viagères à profusion…

C'est un roman de moeurs parisiennes très immoral mais toujours léger, insouciant, et si humain ! Tous les personnages sont équivoques, ni bons ni mauvais, toujours souriants et railleurs, menant une existence effrénée entre spéculation et salons parisiens… Un monde superficiel certes, mais néanmoins attachant, fait de grossièretés raffinées et d'amitiés franches mais aussi promptes à se détacher…


Comme l'a dit Jules Lemaître, l'auteur « possède, au plus haut point, le don de nous intéresser à d'humbles existences, humblement tourmentées ; cela, sans nulle sensiblerie, même sans aucune sensibilité avouée, et aussi sans « effets » de style, et enfin sans combinaison artificielle d'évènements, rien que par la minutier, lucide et imperturbable accumulation de très humbles détails familiers.
Son originalité d'être un réaliste à la manière classique ; réaliste sans épithète : ni rosse, ni évangélique, ni amer, ni moral, ni même immoral. »
(Article de la revue française politique et littéraire - 19 décembre 1909)

Ou encore : « ces maintes observations faites simplement, sans y attacher la moindre importance et si bien saisies sur le vif, tout est admirablement en place, parisien, français, universel ! C'est un livre délicieux et sinistre… dans sa candeur bon enfant. »
(Article Mercure de France - 1er février 1900)
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