Impossible. Suzy ne pouvait pas être morte. Il lui restait des centaines de livres à écrire ! Lou ne voulait même pas envisager ce que serait sa vie sans les sorties régulières de ses ouvrages. Le journaliste avait dû se tromper, voilà tout. Des centaines de personnes habitaient Vincennes, il s’agissait d’une voisine, d’un homonyme, d’une méprise. Si seulement elle possédait les coordonnées de la romancière, elle aurait pu vérifier tout de suite ! Mais elle avait beau les avoir sollicitées des centaines de fois auprès du fan club, celui-ci s’était obstiné à ne lui fournir qu’une adresse postale bidon au nom de Suzy Biggs, alors que tout le monde savait qu’elle s’appelait en réalité Suzanne Legrand. Elle avait lu qu’il s’agissait d’un choix éditorial, afin de faciliter les ventes à l’étranger.
Elle avait terminé le dernier livre de Suzy la veille au soir, à presque minuit, avec la lampe de poche sous sa couette, et se sentait déjà en manque. La sortie du prochain n’était prévue que pour dans trois mois ! Tant pis, il ne lui restait plus qu’à relire les premiers depuis le début. Même si elle les connaissait par cœur, au point de pouvoir réciter les répliques de tous les protagonistes, elle ne s’en lassait pas. Au grand dam de sa mère, d’ailleurs, qui aurait bien aimé la voir lire « des choses plus intellectuelles que ces romans pour minettes en manque de sensations fortes ». Jugement d’autant plus injuste qu’Armelle n’en avait jamais lu un seul, rebutée par les jaquettes noires frappées de lettres aux couleurs criardes.
Les matières scolaires ne me passionnaient pas vraiment. Je préférais danser, parler des garçons, regarder la télévision, traîner au centre commercial avec mes copines. L’avenir, je n’y pensais pas. On m’a proposé de suivre une filière professionnelle pour devenir coiffeuse, j’ai accepté, pour ce que j’en avais à faire. Et puis j’ai rencontré mon premier amoureux sérieux alors que je n’avais que dix-sept ans, nous nous sommes mariés, j’ai eu un petit garçon et je suis restée à la maison pour l’élever. Comme il adorait les histoires que je lui racontais, je me suis mise en tête de les écrire.
Elle n’avait pas eu le temps de lui demander si un fantôme informatique pouvait survivre hors ligne, ou disque dur éteint. Si elle l’avait définitivement tuée ? Elle ne se le pardonnerait jamais ! Ou plutôt, elle ne le pardonnerait jamais à sa mère !
L’orthographe, ça se corrige. L’essentiel, c’est d’avoir les idées.