Grosso modo jusqu'à la page 101 je voyais ça comme une technique très élaborée pour tourner autour de son nombril sans en avoir l'air et sous prétexte de s'en détacher ! Et si le livre ne m'avait pas été offert pour Noël, j'aurais sans doute abandonné une lecture qui s'annonçait poussive dès les premières pages, même si la fluidité de l'écriture pouvait le rendre un tant soit peu attrayant.
Ça commence par un stage de
yoga qui doit donner naissance à un livre. Les arcanes du livre en train de s‘écrire nous sont ainsi dévoilés.
Puis soudain, en contrepoint (après une bonne centaine de pages) c'est l'irruption du réel avec la tragédie de Charlie hebdo, la mort de son ami
Bernard Maris, et la fin d'une histoire d'amour idéal suivi d'une profonde dépression du narrateur (qui souffre de trouble bipolaire) nécessitant une hospitalisation à Sainte-Anne. Des évènements qui touchent la corde sensible et émeuvent le lecteur qui se surprend à désirer continuer pour savoir comment tout cela va finir. D'autant que le récit a toutes les apparences du vrai et que l'auteur ne se prive pas d'insister pour nous nous donner les garanties d'un récit autobiographique des plus authentique.
On se retrouve sur l'ile grecque Leros où le narrateur fuit sa dépression en s'immergeant dans un réel insoutenable puisqu'il participe à l'accueil d'enfants ou d'adolescents immigrés déracinés
et cruellement livrés à eux même après un voyage des plus éprouvant.
Il s'occupe de ces enfants avec Frédérica qui, pensant les aider, leur demande de raconter leur histoire.
Évidemment, celui qui a vécu l'histoire la plus tragique et se retrouve non seulement orphelin, mais sans aucune famille proche ou lointaine, Hassan, un jeune adolescent de 15 ans, ne s'en remettra pas.
« C'était dur, mais pour Hassan, c'était encore plus dur. Parce que lui, il n'y avait personne à qui dire au revoir. Personne ne l'a aidé à faire son sac.»
Tout est bien décrit pour nous rendre perceptible le désespoir de ces ados.
Le narrateur décide d'offrir un smartphone à Hassan. Sans réfléchir d'ailleurs au fait que celui-ci n'a personne à qui appeler ! Mais Hassan s'est enfui le lendemain du jour où il a raconté son histoire. Parce que le récit de sa détresse a été trop toxique pour lui. Que certains traumatismes exigent d'infinies précautions avant d'être mis en mots.
De cela, l'auteur n'a pas réellement conscience croyant avoir touché le fond de la misère morale par son expérience de la dépression.
Mais lui, il a des gens qui l'attendent, qui se soucient de lui et il peut repartir quand il veut en France où il sera accueilli à bras ouverts.Tout comme Frédérica, un peu moins chanceuse, qui repart en Australie à la recherche de son fils.
Le narrateur reste encore quelque temps sur l'ile et leur apprendra le Tai-chi. Cela les amuse et il surprendra même Hamid en train de l'enseigner à un autre enfant. Pourquoi pas ? Mais selon moi, tout autre enseignement aurait sans doute eu le même effet : dessin, musique, théâtre,
etc.
L'auteur s'en va presque satisfait.
Et c'est reparti pour une longue tirade sur les vertus du
yoga et du tai-chi sans nous épargner une série impressionnante de définitions dont la dernière vaut son pesant d'or : « La méditation, c'est vivre dans l'instant présent. La méditation, c'est pisser
et chier quand on pisse
et chie, rien de plus. » Bref, même quand le réel est inintéressant il faut le vivre jusqu'au bout et ne pas se laisser envahir par les pensées parasites (les « vittri » comme on dit dans le jargon).
On aura droit aussi à un détour par
Renaud Camus (que je n'ai pas encore lu) qui passait pour un grand écrivain jusqu'à qu'il écrive un livre au sujet "du grand remplacement".
La boucle est bouclée : on ne peut pas s'opposer à l'immigration sans passer pour de vilains suprématistes blancs, ou des sales égoïstes européens et il est insupportable de laisser ces enfants à la dérive.
Il y a certainement du vrai dans tout ceci, mais aucune solution digne de ce nom n'est réellement envisagée.
Pour ma part, si j'avais été à la place du narrateur (avec ses moyens et ses relations) la première chose qui me serait venue à l'esprit : c'est d'adopter un de ces enfants en détresse ou lui servir de famille d'accueil.
Ce livre a le mérite de décrire le tragique d'une situation (mais une photo d'enfant mort sur le rivage suffit à elle seule pour bouleverser les foules) et d'amener à se poser certaines questions. Quoi faire
et comment faire ?
Mais là où je suis bigrement déçue par l'auteur (outre le côté moralisateur qui est bien trop visible), c'est qu'après nous avoir fait croire que son récit était authentique, on apprend que Frédérica est à moitié un personnage de roman, la femme aux Gémeaux aussi (son amour idéal). On se sent dupé floué et surtout tristement manipulé.
Finalement, je reviens à ma première impression et je reprends une citation de l'auteur p300
« Je n'ai pas lu
Kant, mais d'après le peu que j'en sais elle pourrait être de
Kant : agir de la même façon quand il y a un témoin et quand personne ne vous voit, ça me semble le critère absolu de la morale. »
Et pourtant, il ne fait sans cesse que se mettre en scène sous toutes les coutures même et surtout quand il veut donner l'impression du contraire !