Rencontre avec Renaud Camus à Paris, à la Maison des Mines, le 18 mars 2022
Programme : -Conférence autour de son dernier livre La Dépossession animée par François Bousquet
Débat avec le philosophe Olivier Rey
Rencontre et dédicace
Informations utiles :
Date : 18 mars 2022
Horaires : 19h30-23h
Maison des Mines
270 rue St Jacques 75005 Paris
Tarifs :
Billet classique : 10
Billet classique + La Dépossession : 41
Billet -26 ans : 7
Billet -26 ans + La Dépossession : 39
Billeterie :
https://my.weezevent.com/conference-dedicace-renaud-camus-a-paris
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L'effondrement de la langue affecte maintenant, et d’abord, ceux qui traditionnellement parlaient bien : les professeurs, les intellectuels, les journalistes, les hommes politiques.
Journal, 24 septembre 2019.
Les ennemis de la haine sont tellement haineux qu'ils finiraient presque par la rendre sympathique. (...) Je n'étais d'ailleurs pas du tout hostile à Melle Thunberg, jusqu'à présent ; mais je dois dire qu'avec son discours à l'ONU elle a offert une icône planétaire à tous ces enfants et adolescents dont frappe l'expression haineuse, supérieure, méprisante et vindicative, quand ils s'adressent à leurs parents et sans doute à leurs professeurs.

Nous n'avons chacun à notre disposition, j'y reviens, et c'est triste à dire, et c'est une platitude que de le rappeler, qu'un temps étroitement circonscrit, et que tous nos efforts et toutes nos prudences ne rendront pas indéfiniment extensible. Et je ne regrette pas d'avoir proposé ailleurs, comme une des définitions possibles de la culture, "la claire conscience de la préciosité du temps". L'homme cultivé n'a jamais trop de temps, il n'en a même jamais assez pour tout ce qu'il y a à lire, à voir, à entendre, à connaître, à apprendre, à comprendre et à aimer. L'intelligible, par son énormité, est incommensurable à son intelligence. L'existant, par son immensité, est sans rapport de proportions avec sa soif de connaissance et les possibilités de sa mémoire. L'aimable, par son infinitude, outrepasse de toute part son amour. A tout moment il doit faire des choix, c'est-à-dire renoncer à des chemins, à des livres, à des études, à des admirations et à des distractions. Et ce qu'il est, autant que par ce qu'il lit, par ce qu'il entend et par ce qu'il étudie, il l'est par ce qu'il ne lit pas, par ce qu'il ne fréquente pas, ce à quoi il refuse de perdre son temps, ce temps que la culture rend précieux.

On se moque des théoriciens de la sortie de l'histoire mais l'économisme, la réduction de la vie politique à des questions de produit national brut, d'emploi, de balance des échanges commerciaux et d'équilibre des marchés, est bel et bien une forme atténuée de sortie de l'histoire - atténuée parce que cette réduction à l'économie n'a pas encore fait la preuve qu'elle excluait les guerres, civiles ou étrangères. Elle n'exclut certainement pas la violence, en tout cas, et moins encore la nocence, même si elle les fait glisser comme une poussière sous le tapis en les réduisant, fidèle à elle-même, à des problèmes de "chômage des jeunes", d'échec scolaire ou d'insuffisance du réseau des transports suburbains : comme si ces problèmes-là eux-mêmes n'avaient rien à voir avec la nature des populations, leurs origines et leurs cultures diverses. Néanmoins, face à cette conception purement comptable de l'existence et des rapports de force, toute tension qui prendrait sa source dans des questions d'appartenance ou d'identité, de race, d'ethnie, de religion, de culture, de frontière, de maîtrise d'un territoire ou de forme des institutions, apparaîtrait vite et serait dénoncée comme un archaïsme, nécessairement dangereux. Il reste qu'un peuple pour qui ces sujets-là ne comptent plus, et dont le président ne se rend plus à l'étranger qu'en tant que représentant de commerce, pour y discuter de contrats qui éventuellement seront signés au palais présidentiel entre lui-même et le président du conseil d'administration d'une firme quelconque, comme s'il s'agissait d'un traité international entre deux grandes nations, un tel peuple a déjà quitté, autant et plus que l'histoire, le temps, la conscience qu'il y a du temps, des siècles, de l'épaisseur de siècles, une chronologie, des dates, un passé, du futur, autre chose que ce présent gâteusement occupé à coïncider avec lui-même, comme le fait l'individu-type du soi-mêmisme ambiant, obsédé de l'idée d'être soi-même et rien d'autre, d'épouser exactement les contours de ce qu'il est déjà, sans jeu aucun, sans place pour le détour, la littérature, la courtoisie, la syntaxe, les formes, le destin, l'histoire.
(Tweet écrit à l'hôpital).
Quand il n'y a plus de culture, on appelle culture ce qu'il y a.
Journal 2019, entrée du 17 septembre 2019.
... C'est bien pourquoi tous ces fantasmes d'union de la droite, d'union des droites, n'aboutissent jamais à rien. La droite veut bien un moment, pour complaire à ses électeurs, s'associer à la résistance au changement de peuple et de civilisation, mais, outre qu'une part croissante de ses électeurs potentiels sont déjà changés, et appartiennent au nouveau peuple, il lui revient toujours à l'esprit, tôt ou tard, que les intérêts qu'elle défend non seulement ne sont en rien desservis par la submersion ethnique mais qu'ils ont besoin d'elle, ou croient avoir besoin d'elle, et la souhaitent. Elle est prise entre les suffrages qu'elle lorgne et les commanditaires qu'elle aguiche. Et comme les suffrages seront toujours manipulables par les commanditaires, qui sont maîtres des machines à décérébrer et à contrôler les esprits, elle est programmée pour trahir.
"Des peuples qui restent des peuples ne peuvent pas s’agréger à des peuples. Ils ne peuvent que les conquérir, les submerger, les remplacer."
Tous les jours de la semaine dernière, l'émission "Les Chemins de la connaissance", sur France Culture, était consacrée aux Berbères et à leur univers, ce qui chaque fois me faisait penser à Farid [ex amant de Renaud Camus], qui à l'occasion se prétendait berbère, ou disait se vouloir berbère, comme les plus anciens Marocains. Chaque fois que j'entends parler du Maroc, du monde arabe, des Berbères, de la religion musulmane, je suis pris d'une nostalgie de lui, car le fréquenter m'avait donné avec ces choses un lien sensible, si ténu soit-il, qui me faisait les voir de façon tout à fait différente, je n'oserais dire de l'intérieur, non, mais amoureusement, c'est plutôt cela - avec tout ce que le terme implique de profonde mécompréhension, bien entendu.
Le paradoxe de ma position est que je suis le défenseur de la forme, des formes, et qu'elles ne sont guère associées (qu') à la reconnaissance et même à l'exploration de l'échec, de la solitude, de l'extrême gêne quotidienne, à défaut de la misère. Mais justement : c'est dans la vérité, surtout la plus amère, qu'il convient de garder forme à tout prix, et donc figure humaine, si dépouillée qu'elle soit, si ravinée, si corrodée. Ce visage de vaincu de la vie, cette situation objective de vaincu, ce statut d'oublié, de mal-aimé, d'ignoré, ce corps abandonné par le désir, c'est à ce journal seul qu'il appartient de les habiter avec autant de dignité que possible, sans rien cacher de leur déréliction.
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La parole impie par excellence, impie à l'égard de l'homme, c'est "Tu ne jugeras pas". C'est seulement à partir du moment où l'homme transgresse cet interdit divin qu'il est vraiment homme ; à partir du moment où il écarte avec répulsion le "tout se vaut" que lui suggère éternellement la mort. (...) Juger est l'affaire d'une vie. Juger c'est distinguer et distinguer encore. Les hommes ne sont égaux qu'en ce qu'ils ont de moins humain. Etre homme, c'est être inégal. Valoir plus ou valoir moins. De toute façon : valoir. Ne vaut vraiment que ce qui ne vaut pas la même chose que tout le reste.
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