Après
Petit Blanc, roman tourné vers le passé,
Nicolas Cartelet donne dans le roman d'anticipation avec
Dernières fleurs avant la fin du monde. On y retrouve Albert Villeneuve, personnage désabusé par excellence... Retrouve ?? Mais comment est-ce possible ? Que fait ce même personnage en tête d'affiche de deux histoires que plusieurs générations séparent ?
La réponse tient dans la première phrase de Dernières fleurs, celle qui sert généralement à parler de son ami ou de sa maman : "À ceux qui en silence, humblement, vont à contre-courant."
Villeneuve n'est pas quelqu'un, il est quelques-uns. le monde a toujours eu et aura toujours un monsieur ou une madame comme lui, révolté impuissant, un homme de rien, un qui essaie de s'accrocher à une branche pour ne pas se laisser emporter par les eaux mornes du quotidien des petites gens. Voilà une science-fiction peu commune, où l'humanité a beau faire, c'est l'humain qui prime.
Dans
Dernières fleurs avant la fin du monde, il est question d'une terre rendue infertile, condamnée à la fécondation artificielle depuis la disparition des abeilles. Villeneuve et ses collègues de travail sont chargés de polliniser les cerisiers, en remplacement de feu les ouvrières de dame nature. Ils bossent énormément, mangent mal, mènent une vie fade. La révolte pour Villeneuve est à la hauteur de son importance face au monde, une goutte d'eau dans l'océan. Puis, une perspective insoupçonnée jusqu'alors se fait jour. C'est sa rencontre avec Apolline, une enfant, l'innocence, qui va semer l'espoir dans son coeur.
Tout comme pour
Petit Blanc, on sera tenté de reprocher à ce roman son aspect prévisible, son histoire somme toute simple, ne révolutionnant pas le genre. Mais comme pour
Petit Blanc, et à vrai dire plus encore je trouve, ces reproches n'auront pas lieu d'être. C'est cette simplicité qui nous parle, cette réalité évidente, qu'il ne tient pas à l'auteur de contorsionner et d'alambiquer pour en faire un mystère labyrinthique tout bonnement incroyable, mais bien de décrire sans fard, à fond, de dénuder jusqu'à l'âme. Et c'est là la force de ce roman.
Dernières fleurs est écrit avec une justesse et une authenticité admirables. Narré à la première personne par son sous-héros (je crois qu'on peut appeler ça comme ça, Albert n'étant selon moi pas plus héros qu'anti-héros), le lecteur perçoit le ton et le bon sens sans fioritures. Une poésie du mot vrai et simple, une modestie lyrique.
Nicolas Cartelet a une conscience aiguë des hauts et des bas du comportement humain, et son style est transparent sur ce fait.
"J'ai essayé de lui faire comprendre, encore une fois, je lui ai répété ces choses, du miel plein la voix, je lui ai dit que j'admirais son sacrifice, mais qu'il fallait se serrer les coudes, se réjouir ensemble de ma réussite, qui nous honorait tous les deux. Manon n'a rien voulu savoir, elle a continué de m'accabler entre les larmes, encore et encore, misère, oh, misère… Elle tombait le masque. Peut-être avait-elle espéré que je lui revienne en larmes, renvoyé ou blessé, mutilé par les chiens des matons ; pire, peut-être avait-elle espéré que je ne revienne pas."
Si Dernières fleurs est un roman du réalisme brut, ça n'est pas sans toucher aussi à la symbolique. Les parallèles avec Alice au Pays des Merveilles, lâchés sans prétention mais où l'on sent bien la gentille malice de l'auteur, sont savoureux à déballer. Bien sûr,
Nicolas Cartelet s'amuse de son Apolline, dont le prénom est - volontairement, ça ne fait aucun doute - proche de "pollen", l'élément qui est à la source de la condition d'Albert. Là où le pollen tue Albert à la tâche, Apolline le ramène à la vie. le A de Apolline est peut-être bien un A privatif, le contraire de cette poudre jaune éreintante. Mais elle est aussi le pollen qui fertilise un coeur ankylosé.
Pour conclure, lisez ce roman si vous aimez voir de belles choses dans une vérité dure à vivre. Lancez-vous si vous appréciez la vision du soleil qui crève un plafond nuageux avec de minces mes brillants rais de chaude lumière. Et soyez assurés que cet auteur a plus d'un tour dans son sac. Personnellement, je ne vais pas le lâcher.
Bye bye!