A la fin de « Terre des Hommes », (que nous devrions tous avoir lu au moins une fois dans notre vie) Saint-Ex disait :
« Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres et je me dis : voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de la vie… » Puis, plus loin : « Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés-concerts. Mozart est condamné. » Puis encore plus loin : « Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n'est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s'agit point de s'attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C'est quelque chose comme l'espèce humaine et non l'individu qui est blessé ici, qui est lésé. Je ne crois guère à la pitié. Ce qui me tourmente, c'est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente, ce n'est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s'installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d'Orientaux vivent dans la crasse et s'y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. »
C'est dans ce texte que
Gilbert Cesbron a trouvé le titre de son roman. Cesbron n'est jamais mauvais. Il est quelquefois moins bon, mais il n'est jamais meilleur que quand il parle des enfants. Ses meilleurs romans sont souvent ceux où ils se penchent sur le cas d'enfants : malheureux, pauvres, déclassés, disgraciés physiquement ou mentalement, ou comme ici ballotés, déchirés entre deux parents en instance de divorce. Encore une fois il est inexact de dire que Cesbron traite de « cas sociaux » ou de « phénomènes de société », inévitablement, en élargissant le débat, il est vrai qu'on en arrive là, mais au départ, Cesbron parle de gens, de personnes, d'enfants qu'il a connus ou dont on lui a raconté l'histoire. Et c'est cette histoire qu'il nous raconte à son tour, avec toute sa compassion, sa tendresse et son humanité.
Martin a sept ans. Ses parents sont en instance de divorce. En sortant de l'audience de conciliation, Agnès, sa maman, a un malaise et ne peut garder le petit garçon. Marc, le papa, le confie à son propre père, le grand-père de l'enfant, puis, voyant que l'état d'Agnès ne s'améliore pas, à Nounou Perraut, l'ancienne nourrice d'Agnès qui vit à la campagne. Martin est ravi de cette vie dans la nature, même si Nounou Perraut vit dans la précarité dans une ferme insalubre. Marc, horrifié, reprend Martin avec lui et le remet au grand-père. Celui-ci, âgé et malade, meurt d'une crise cardiaque. Marc se tourne alors vers Alain, le parrain de Marc. Un week-end où il se retrouve seul, Martin s'enfuit veut retourner chez Nounou Perrault, mais se perd et échoue… chez Marion, la maîtresse de Marc. Celle-ci appelle Alain, le dernier « hébergeur » de Martin. Elle leur confie le soin à tous deux de dire à Marc qu'elle ne l'aime plus. D'ailleurs, Marc et Agnès, bousculés par tous ces évènements et conscients des conséquences qu'en subit Martin, décident de se donner une deuxième chance.
Une fin heureuse, finalement, dans une histoire (un divorce) où il n'y a que des perdants : le père, la mère, la maîtresse, et indirectement le grand-père, la nounou et le parrain, et surtout Martin première victime d'une bataille dont il est à la fois l'enjeu l'exclusion. Martin c'est l'incompris, c'est aussi celui qui ne comprend pas, dans toute sa pureté, dans toute son innocence ce qui se passe autour de lui. le plus triste, dans ce divorce (et sans doute dans la majorité des divorces), c'est que ce n'est pas l'amour qui est mis en question, il y a de l'amour dans l'air et de la part de tous les personnages, mais des égoïsmes mesquins, de mauvais calculs, et de l'aveuglement. Il faut être
Gilbert Cesbron pour saisir tout cela et nous le restituer avec tant d'émotion, de générosité et de tendresse.
Les enfants du divorce passent aujourd'hui par les mêmes difficulté, pire même, parce que les égoïsmes sont sans doute plus pointus que dans les années 60. C'est pourquoi ce roman, même si l'écriture est un peu désuète, ne sera jamais démodé.