Il n'est pas sûr qu'on puisse rendre compte de l'horreur. Cette sélection de
récits de la Kolyma de
Chalamov le montre bien. Quelques pages peuvent-elles rendre compte de 17 années de déportation, de travaux forcés, de privations continues, de l'épuisement, de la faim ?
Chalamov raconte pourtant un monde sans espoir, d'indifférence les uns aux autres, fait de douleurs continues, de plaies vives, où la faim est omniprésente, une tension permanente... La description remplace toute introspection, impossible ("Réfléchir me faisait mal"), comme si le monde était devenu impensable, tant le corps même est tout ce qu'il reste, plus réel, plus "sérieux" que l'âme.
Chalamov parle du corps, des membres disparus, mais toujours là, des plaies, de ce que le corps expulse et de ce qu'il en reste, quand il n'a plus que les os, qu'une tension terminale, qu'une réaction intensive à la réalité. Les morts sont pareils que les vivants, comme si on ne pouvait plus vraiment les distinguer.
On referme ce livre éprouvant en pensant à tout ce qu'il n'a pas raconté, à ce qui n'a pas été dit de ces 17 années. Et l'on se dit que ces récits ne peuvent être que des fragments d'une réalité indicible, que ces instants laissent percevoir au-delà d'eux-mêmes.