Essais sur le monde du crime

Ces essais appartiennent aux récits de la Kolyma. Ils sont difficiles à dater du fait de l'interminable rétention de Chalamov au goulag et de leur parution en samizdats avant leur publication en français (1993). La Kolyma est la péninsule de l'extrême nord-est de la Sibérie, accessible seulement par bateau et considérée comme l'île de l'enfer, encore que l'enfer punisse les pécheurs et que souvent les prisonniers ne sachent pas le motif de leur condamnation. Les essais documentent la domination des truands (article 35) sur les caves (article 58 qui punit toute forme d'atteinte aux intérêts de l'État et justifie les rafles pour garantir un quota d'esclaves). Les truands possèdent l'art de détrousser au vu de tous plutôt que de voler, pour un gain matériel (le pain, le vêtement, dont le défaut est létal) et symbolique (humilier les caves, marquer son rang) ; l'art de fabriquer des cartes, de jouer selon des règles obscures et de tricher, le gain aux cartes pouvant consister à détrousser ou tuer les caves ; l'art de dénoncer ; et l'art des punitions et des vengeances extrêmes, recherchant la terreur des caves survivants. Il est inutile d'insister sur la cruauté des témoignages.

Outre la hiérarchie entre truands et caves, observée et respectée par les gardes, d'autres hiérarchies s'établissent : entre les truands et les femmes, ces choses qu'ils arrivent à atteindre et qu'ils divisent entre voleuses et prostituées ; entre truands réguliers qui n'ont jamais accepté de soumission au pouvoir, guerroyeurs qui ont accepté de combattre à la guerre, et chiennes qui méritent la mort pour quelque forme que ce soit de collaboration. Et parmi les caves, les truands distinguent la masse indistincte et les éditeurs de rômans — les improvisateurs de contes sur les exploits des caves.

Comme l'écrit Michel Heller dans sa postface : « Il y a bien longtemps que le tragique destin des écrivains russes n'étonne plus personne ». Il cite ces vers de Chalamov : « Je suis pareil à ces fossiles/ qui ressurgissent par hasard/ pour livrer au monde la clef/ des mystères géologiques ».

J'ai lu les Essais sur le monde du crime au fil de ma lecture de l'intégrale des Récits de la Kolyma, de Chalamov, sur laquelle je reviendrai bientôt.
Varlam Chamalov a passé 17 ans dans les camps de travail de la Kolyma, à l'extrême Nord-Est de la Sibérie (face à l'Alaska). Il y a vu des hommes survivre (pas toujours) dans des conditions extrêmes. Il y a vu comment se délitait le lien social, laissant place à un chacun pour soi nécessaire à la survie.
Dans ces essais sur le monde du crime, Chalamov fait part de ses observations sur la place donnée à la pègre dans les camps, avec la complicité active des autorités soviétiques. Il y dénonce la vision romantique des truands, véhiculée par la littérature et les prémices de ce qui deviendra plus tard la culture de l'excuse. Pour Chalamov, force est de constater une différence profonde de nature entre les truands et le reste de l'humanité.
Les Essais sur le monde du crime sont plus construits que les autres récits de la Kolyma. le recul et l'analyse de l'auteur y prennent une plus grande part. Reste au lecteur le soin de se forger sa propre opinion, entre l'évidence de la légitimité donnée par une expérience vécue dans des conditions extrêmes, révélatrices de notre humanité, et les biais induits par les souffrances et blessures toutes aussi évidentes de l'auteur.

Chalamov tord le cou au mythe du truand romantique, du voleur au coeur d'or....
Il a passé dix-sept ans en Sibérie dans les camps.
Et c'est à partir de cette expérience qu'il a écrit les Récits de Kolyma dont ces essais sont un extrait.
Il dénonce la corruption des camps et prisons qui sont en fait aux mains de la pègre.
Les autorités se servirent des truands pour exterminer les trotskystes dans les camps et autres prisonniers politiques.
C'est une condamnation sans appel des pratiques de la pègre.