Les Détectives du Yorkshire, tome 2 : Rendez-vous avec le mal

C’est drôle, la façon dont les gens se cramponnent au passé (…) alors que l’avenir peut leur offrir tellement plus.

Tu sais comment c'est, par ici, acquiesça Joseph. Tout le monde a des liens de famille avec tout le monde. Tu donnes un coup de pied à quelqu'un et tout Bruncliffe saute en l'air.

Delilah et Calimero étaient devenus une famille monoparentale, tous deux meurtris par la rupture. Delilah s'était abrutie de boulot pour noyer son chagrin pendant que Calimero développait un trouble de l'anxiété, refusant de laisser Delilah sortir de son champ de vision.

Pas étonnant donc que ce gamin, pourtant né ici, ait été officiellement étiqueté offcumden, un étranger, un gars pas du coin. Pas étonnant non plus qu'on le considère comme un fauteur de troubles.

La nuit descend vite, en hiver, dans les Vallons du Yorkshire. Après une journée de temps affreux et de ciel noir, la transition se fit presque sans heurt, uniquement marquée par l'illumination des décorations de Noël sur la place du marché. Dès les premières lueurs de l'aube, quand la pluie cessa enfin, Bruncliffe dormait encore à poings fermés.

La plupart de ses habitants, du moins.

— On est vraiment obligés d'aller si vite ?

Le lundi matin, Samson était cramponné au tableau de bord de la Nissan Micra qui passait le premier pont de Horton, le parapet de pierre incroyablement près de la vitre côté passager, avant de filer vers la gauche pour prendre le deuxième pont. À l'arrière, Calimero poussa un petit gémissement approbateur.

— Désolée, marmonna Delilah en levant un peu le pied pour s'engager sur la route qui quittait le village et remontait vers Selside, au nord, et la caravane de Pete Ferris. La journée a mal commencé.

— J'ai le droit de demander pourquoi ?

— Vaut mieux pas.

Ce jeudi matin-là, comme tous les autres jours de la semaine, à l'heure où la plupart des habitants de Bruncliffe se retournaient dans leur lit pour éteindre leur réveil, Samson O'Brien était déjà debout, douché, et son sac de couchage rangé. Il avait pris soin d'effacer tous les indices de son occupation nocturne de la chambre, sans oublier d'essuyer à fond la cabine et le bac de douche.

La première mesure était destinée à empêcher Delilah Metcalfe de découvrir que son locataire squattait le deuxième étage de son immeuble professionnel ; la seconde à lui éviter de se faire scalper par Ida Capstick, la femme de ménage.

Delilah Metcalfe. Il n'arrivait toujours pas à croire que la gamine maigrichonne qui les suivait partout, Ryan et lui, soit devenue cette femme aux multiples talents. Non seulement elle faisait marcher une agence de rencontre à la notoriété grandissante – malgré une passe difficile ces derniers mois –, mais elle dirigeait aussi une boîte qui concevait et assurait la maintenance de sites Internet. D'après ce qu'il avait entendu dire, elle était très douée.

— Alors, vous allez vous en occuper ?

— De trouver qui essaie de vous tuer ? demanda Samson, incapable de croire que ces mots sortaient de sa propre bouche.

— Non, vous n'écoutez pas, répliqua Mme Shepherd en tapant de son petit poing sur le bureau. Je vous l'ai dit, je sais qui essaie de me tuer. J'ai besoin que vous la coinciez. De préférence avant qu'elle n'arrive à ses fins.

— Monsieur Knowles, pourriez-vous nous fournir son signalement ?
— Son signalement ? répéta le fermier en se grattant la tête. Ben, pas très grand. Costaud. Mais pas gras, attention.
Samson transmit les informations au policier avant de se retourner vers le fermier.
— Que portait-il ?
La question fut accueillie par un froncement de sourcils de Clive Knowles, et ce qui ressemblait à un hoquet de la part de Delilah, qui porta la main à sa bouche.
— Ce qu'il portait ? demanda le fermier en le regardant par-dessous la visière de sa casquette.
— Oui. À quoi ressemblait-il ?
— Bah, comme d'habitude.
— C'est-à-dire ? demanda Samson en ravalant son exaspération.
— Le corps blanc, la face noire, des anneaux blancs autour des yeux. Et, s'cusez-moi, madame Shepherd, dit-il en se tournant vers la vieille dame assise à côté de lui, mais il est bien monté.
— Pardon ? s'étonna Samson, les sourcils remontés jusqu'à la racine de ses cheveux. Qu'est-ce que vous avez dit ?
Le fermier haussa les épaules.
— Il est gâté par la nature. C'est sa caractéristique principale. Comment vous voudriez qu'il couvre toutes ces brebis, sinon ?