Assise

Il a constaté avec quelle facilité l'homme cède à sa morbide volonté de puissance. L'homme ivre du pouvoir de ses muscles et de son cerveau cherche à imposer les lois de ses seuls désirs sans frein, au mépris des lois fondamentales de la Vie. Cela ne fait que le mener à sa propre destruction.
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«Assise » Une rencontre inattendue, François Cheng, éd. Albin Michel © - 2014

Pour que ces êtres farouches entrent en toute confiance dans son intimité, l'empathie lui est nécessaire mais insuffisante. Il lui faut demeurer lui-même humble et dépouillé, au point de devenir un « rien bienveillant », ou alors un « vide vivifiant », un peu à l'image du Créateur qui s'oblige à se tenir en retrait afin que les créatures puissent pleinement vivre.
L'humilité ne signifie nullement je ne sais quel abaissement ou servitude. Reliée à l'humus, donc aux racines vitales, elle est la force même.
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… François connaît le fond de la nature humaine : sa propension à l'égoïsme, à l'orgueil, à l'envie, à la domination dévastatrice, sa capacité à la méchanceté, à la trahison, à la perversion, à la cruauté sans limites. Lui-même a dû lutter sans relâche pour se surmonter. Combien savait-il que celui qui a opté pour la bonté se devait d'affronter le mal.
Dès lors, on comprend que la joie de François ne provient pas d'une disposition naïve, telle celle d'un joyeux drille. Elle est le résultat, là aussi, d'une conquête intérieure, après être passé par toutes les épreuves. La joie de François est vraie, parce que, répétons-le, elle a pris en charge les souffrances personnelles et les douleurs du monde.
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Il n'oublie pas que c'est en ce lieu même qu'il a fait la rencontre de son Seigneur, que c'est ici, à force de combats et de dépassements, qu'il a intériorisé les misères de ce monde, lesquelles, au lieu de l'écraser, l'ont transfiguré. Devenu un être de fond en comble spiritualisé, il peut enfin se laisser transporter par le souffle du divin. Depuis ce réduit minuscule, l'homme éveillé sent s'ouvrir en lui ce que sous d'autres cieux on appelle le “troisième œil”. Il voit.
Ce qu'il voit lui dit qu'en dépit de tout il y a lieu de louer.
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Il lui suffit de dire "frère Soleil " ou sœur Eau " et , subitement , le rapport entre l'homme et la nature se révèle autre, confiant et fraternel .
Du coup , l'univers prends une autre coloration, et l'homme une autre dignité.

Ne sois pas accablé par la tristesse. Songe que cette lumière née de la nuit est dispensée partout et à tous. Elle ne cloisonne pas, elle élève ; elle ne sépare pas, elle réunit.

J'ai eu le privilège de choisir, à un moment clé de ma vie, mon propre prénom. C'était en 1971, lors de ma naturalisation. A cette occasion selon la loi française , le naturalisé a le droit d'opter pour un prénom autre que celui qu'il porte depuis sa naissance. S'est imposé à moi, sans que j'aie eu à réfléchir, le prénom François.

Il s'agissait d'une fulgurante rencontre qui me rappelait le rapport fécond que l'homme se doit d'entretenir avec la terre. La vue de ce haut lieu réveilla en moi la réminiscence de la tradition chinoise du feng shui, la géomancie chinoise : un site exceptionnel est censé avoir le pouvoir de propulser l'homme vers le règne supérieur de l'esprit. Et je vis combien le site d'Assise qui se déployait devant mes yeux était marque d'un signe faste.

Mais ce qui impressionne en particulier sur cette hauteur, c'est tout de même l'intimité que le saint entretient avec le règne minéral. Moi, natif de Chine, comment ne pas me sentir de connivence avec lui dans l'amour de la pierre ? Au sein de cette univers de grottes, je le vois, à la manière de tant d'ermites taoïstes, dormir au creux des rochers avec, en guise d'oreiller, un gros caillou à la surface lisse.

Un jour au jardin de Claire, j’étais seul à jouir, une fois de plus, de l’émouvant paysage ombrien, lorsque arriva un petit groupe. Deux jeunes filles qui se tenaient près du mur sur lequel est gravé le Cantique se mirent à en chanter tout le texte. Après qu’elles eurent fait entendre plusieurs couplets, irrépressiblement, je joignis à leurs voix cristallines la mienne, de basse-baryton. L’effet fut saisissant. L’air vibrait de mots magiques, et nous ne doutions pas que François fût là au milieu de nous, apaisé, heureux.