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Critique de Fabinou7


Volcanique Voltairine.

“L'Homm doit êt' son Maître et son Dieu !” écrivait au XIXe siècle le poète Jehan Rictus en argot parisien. L'anarchie a mauvaise presse, d'Occupy Wall Street aux Anonymous, de Nuit Debout aux Black Blocs, la pensée d'extrême-gauche a toujours séduit autant qu'elle inquiète.

Ce courant pensée politique a pourtant influencé nos sociétés modernes, incitant ses adversaires à révéler un autre visage, à l'image des Etats “démocratiques” adoptant des lois scélérates illiberales, et à se perfectionner, on pense aux méthodes de police scientifique développées pour traquer les poseurs de bombes, les assassins de têtes couronnées (Archiduc d'Autriche Hongrie, roi De Grèce, Président de la République française Sadi Carnot, L'impératrice Sissie, le Tsar de Russie, le Roi du Portugal, le Président des Etats-Unis etc), les vingtenaires anarchistes, à l'image de la bande à Bono, sèment la terreur au sein des classes dominantes du monde entier qui n'ont plus du tout envie de danser la Ravachol… Tous les coups sont donc permis contre ces étranges terroristes, qui ne tirent pas dans les rues à l'aveugle mais ciblent les puissants, y compris les faux procès comme celui du Haymarket de Chicago en 1886 dont nous gardons encore la date anniversaire internationale des travailleurs, le 1er mai ou encore “l'erreur” judiciaire qui conduisit à la condamnation, au retentissement mondial, de Sacco et Vanzetti aux Etats-Unis, immortalisée depuis par la célèbre chanson Here's to You interprétée par Joan Baez.

C'est dans ce mouvement que militent des femmes comme Louise Michel ou Emma Goldman (hélas pas Rosa Luxembourg même si elle en partageait beaucoup d'idées) qui savent ce qu'elles doivent à la pensée anarchiste mise en application, à l'image du droit de vote reconnu aux femmes en 1871 lors de la Commune de Paris, soit quelque soixante ans avant sa reconnaissance par la République française.

Voltairine de Cleyre (son père, d'origine française, voulait un fils “Voltaire” d'où son prénom…) s'inscrit dans ce mouvement et milite, de discours en discours, à l'image de “L'Esclavage Sexuel”, contre l'oppression que subissent les femmes : les mariages et la fécondation forcés, parce qu'excusez moi il n'y a pas d'autre mot quand on voit la considération pour le corps des femmes, des épouses, pondeuses au péril de leur vie, sans pouvoir dire non, stop je ne veux plus d'enfants, j'en ai assez, je n'ai pas les moyens etc… Ces femmes qui ne veulent pas ou plus d'enfants n'ont d'autre choix que de subir le viol de leurs époux, année après année. Cette situation, déjà en 1890 révolte Voltairine de Cleyre, elle exhorte à une meilleure éducation des hommes, quelque part, un siècle avant la théorie du genre, elle prône la déconstruction dans l'éducation des garçons et des filles, relevant que tout ce qui est jugé comme “féminin”, certaines tâches comme le tricot, la cuisine ou encore certains jouets sont immédiatement dévalorisés, et le petit garçon qui veut jouer à la poupée se souviendra longtemps de la honte dans laquelle le plonge le corps social.

Pour l'écrivaine, l'Eglise et l'Etat sont les deux geôliers du corps des femmes. de là une déclinaison des distinctions discriminantes jusque dans le quotidien, dans la façon de s'habiller pour nager, de monter à cheval dans des postures aussi absurdes que dangereuses etc.

“in the sixth century, says August Bebel, the fathers of the Church met and proposed the decision of the question, “has Woman a soul?”
The question of souls is old -- we demand our bodies, now.”

Pour le mouvement anarchiste, la question de la méthode est indissociable de celle du but à atteindre, ce que montre très bien un récent documentaire TV en 4 parties de Tancrède Ramonet, “Ni Dieux Ni Maître : Une histoire de l'anarchisme (1840-2012)”. Nous avons donné plus haut quelques exemples d'actions violentes qu'on appelle “propagande par le fait”. Une autre des méthodes les plus diabolisée est celle de l'action directe. Dans un autre discours “De l'action directe” délivré en 1912, Voltairine de Cleyre démonte les arguments de ses détracteurs. L'action directe est en effet pratiquée par tous et chacun, lorsque nous avons un différend et que nous confrontons nos amis, nos voisins, nos collègues nous ne faisons rien d'autre que pratiquer l'action directe. Elle oppose notamment l'inertie et la duperie du jeu électoral à la grève générale, totale et pas pour un petit compromis de quelques piécettes et l'on sait ce que la naissance du syndicalisme doit historiquement à l'anarchisme. La démocratie avait une composante anarchiste dans sa pensée originelle, elle se devait d'être “directe” elle aussi, jusqu'à ce qu'elle soit à nouveau exercée par quelques uns comme le dénonce la philosophe Barbara Stiegler “la démocratie il faut absolument la domestiquer, par des élus.” Ainsi il n'y a que la caricature la plus grossière pour penser que action directe égal automatiquement action violente, fusse pour les vitrines des agences bancaires…

“The majority of business people are just like the majority of workingmen; they care a whole lot more about their individual loss or gain than about the gain or loss of their class. And it is his individual loss the boss sees, when threatened by a union.”

Les militantes anarcho-invididualistes ont donc très précocement oeuvré pour l'émancipation des femmes, et cela par l'action directe, en mouillant leurs chemisiers pour la cause, séduisant une part toujours plus large de la gauche jusqu'à voir leurs idées triompher, dans l'ingratitude et l'indifférence générale pour celles qui les ont initialement portées sans vergogne, avec irrévérence, provocation et surtout courage. Comment ne pas voir en 2024, l'aboutissement de cette lutte initiée par les féministes anarchistes, à la fois contre les violences sexuelles et la pénalisation de l'avortement.

Finalement, à l'image du Président Pompidou qui reniait la proposition de De Gaulle d'une “Participation” des salariés dans l'entreprise, financière et politique, au nom de la crainte de l'avènement d'une société d'assemblée (oui enfin juste la démocratie sociale quoi…) et de “l'anarchie”… lorsque l'on voit agiter le chiffon rouge de l'anarchie, en réalité il faut traduire pour nos oreilles béotiennes, la peur de l'auto-gestion, la fin des hiérarchies, des structures de domination et de servitudes.

Il ne faut pas, à aucun prix, dans un régime représentatif, que les citoyens décident par et pour eux-mêmes de façon directe (par référendum, par assemblées ou conventions citoyennes etc), le verrou, ce qui permet à la classe dominante de se maintenir, c'est celui de la représentation, basée sur l'élection (contrairement au tirage au sort ou à la rotation des charges des démocraties directes antiques), cette phrase de Clermont-Tonnerre partisan du régime représentatif sous la Révolution, rapportée par le politologue Bernard Manin, illustre parfaitement cet enjeu : "C'est peut-être la plus ingénieuse invention politique que celle d'avoir déclaré souveraine une nation, en lui interdisant tout usage de sa souveraineté. Voilà l'effet de l'adoption d'une Constitution représentative.”

En outre, on peut s'interroger est-ce qu'il est forcément plus bénéfique que le pouvoir soit exercé par ceux qui le veulent vraiment ? Platon n'en était pas convaincu… et pensait même que parce que le Philosophe ne cherche pas le pouvoir, il était le plus à même de diriger la Cité. Cela nous parait acquis aujourd'hui mais le tirage au sort et la rotation des charges permettaient de ne pas trop s'installer dans les habits du pouvoir, et de faire en sorte que tous participent, partant du postulat de Jacques Rancière qu'il n'y a pas a priori d'intelligences supérieures, mais c'est une autre discussion.

Le style de Voltairine est très Cleyre.. (j'ai pas pu m'en empêcher…), rappelons qu'il s'agit de la reproduction d'un discours donc c'est un texte à la fois politique et rhétorique qui a vocation à être lu à haute voix, avec les harangues à l'auditoire, les silences, les effets, le lyrisme parfois, l'humour et l'argumentation destinée à convaincre, à mettre en mouvement l'assistance, c'est aussi les affects qu'il s'agit de provoquer. Cela se ressent bien sûr dans la construction du texte : on part d'un fait divers particulier, circonstancié par l'actualité politique américaine de l'époque, qui évidemment ne nous parle plus un siècle plus tard.

Donc un conseil, installez vous sans trop vous faire remarquer en fond de salle et on essayez de rattraper les wagons, mais vous verrez vous allez vite vous retrouver happés par la ferveur d'une femme de grand talent et d'une honnêteté intellectuelle salvatrice.

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