La Bretagne, terre d'ancrage, l'encre de la belle écriture de l'auteur laisse son empreinte.
Très musicale, le lecteur entend la mer, ses vagues qui déferlent et se retirent.
Le récit épouse ce mouvement, fait corps avec lui.
Je pensais découvrir le portrait d'un grand-père ayant subi l'injustice et en fait c'est une véritable quête faite par l'auteur, son petit-fils, qui au fil de l'eau efface ce grand-père très présent par son absence.
J'ai eu le sentiment que c'était un livre de deuil, comme pour ces familles qui doivent faire « leur deuil » sans avoir de corps a enterré.
L'auteur a cette subtilité de n'employer le mot père que rarement et de lui substituer son prénom Pierre.
Cela renforce la notion de don d'homme à homme et le fait que son père ne se prête pas à ce travail de mémoire.
« Tout juste nous aura-t-il lâché un peu de son enfance saccagée, la morsure des dimanches pensionnaires, la veilleuse bleue des dortoirs au-dessus des cauchemars, l'odeur humide des préaux, cette dévastation initiale que le temps n'entama pas. Il lui avait fallu être ce fils courageux qui dut porter le poids de l'absence sur ses épaules, grandir quand même, et que les heures de la Libération ne libéreront pas, creusé par ce gouffre, au final le constituant, sans soupçonner que sa souffrance serait un jour, pour moi, son aîné, un appel. »
En 1943, Poal, dénoncé pour une raison qui reste inconnue, laisse derrière lui sa femme Jeanne et ses trois enfants : Lucie, Ronan et Pierre (12 ans).
C'est un exercice difficile, j'ai eu le sentiment que la difficulté était de ne pas interpréter les indices à l'aulne du présent.
La première moitié du livre m'a lecture a été traversée presque entravée par une pensée récurrente, ce livre me concerne-t-il ?
Une impression d'entrer par effraction dans cette famille.
Puis la magie de l'écriture a estompé cette sensation pour laisser la place à la découverte d'une famille de militaires, son fonctionnement, la France de cette époque, l'héritage d'une histoire singulière mais pas unique.
C'est la beauté de l'écriture qui donne cet impact.
Cela accentue la dimension particulière presque irréelle car très intime.
Je me suis dit aussi, que tous les reportages sur cette période ne devraient pas rester pour chacun de nous et encore plus pour la jeune génération des films d'époque, qu'il faudrait que tous nous allions au moins une fois faire la visite de ces camps.
« J'avais murmuré à Poal, cet inconnu familier, dans ce qui fut son hiver et sa ruine, que je ne l'oubliai pas, que j'étais venu jusqu'à lui, attentif, accablé aussi, non pas pour le faire renaître mais pour lui rendre son identité… »
Le reflux emporte l'ombre du grand-père et laisse sur le sable de la postérité l'offrande d'un fils à son père.
« Car ce qui avait bouleversé mon père me faisait souffrir à mon tour, c'était devenu mon héritage, ma part, … »
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 24 novembre 2019.
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