De la Bretagne à la Grande-Bretagne, d'un continent, d'un océan à un autre, d'une île à une autre, d'un département à un autre, de la petite histoire à la grande Histoire, d'une époque à une autre, d'un conflit à une autre guerre, d'une génération à l'autre, d'une génération sur l'autre, J.L.C. nous embarque dans son récit, son histoire, son drame, à vif, qu'il ira chercher parmi les ombres. C'est un lourd et immense dossier qu'il nous dévoile, qui se construit sous nos yeux et qui, nous happe.
Il se glisse effectivement parmi les ombres, et avec talent. Il part sur les traces de son grand-père, « un inconnu familier, disparu trop tôt et mal », « [avalé] par les geôles, les camps...», « un frère perdu que seuls des mots exacts peuvent ranimer. » Il écrit pour « lui rendre ses contours et son allure », pour « comme ces gravures médiévales où la mort danse avec le vif, entrer à [son] tour dans la ronde...».
Je me souviens d'un passage somptueusement bien écrit, vrai, dur, sur les tranchées, à couper le souffle, à ébranler l'âme. D'autres relatant avec précision et exactitude, l'organisation de la Résistance mise en place pour faire face aux Boches, en France et en Angleterre.
Des paysages bretons décrits avec sensibilité, délicatesse et émotion, la brise marine enivrante et la roche dentelée, et nous...lecteurs, spectateurs de ce paysage escarpé, de ce récit tout aussi escarpé, escamoté qui nous emmène sur les traces de Paol, ce grand-père disparu...
Paol est l'histoire de J.L.C., elle est aussi celle de sa famille. Son oncle Ronan, le "free frenchie londonien", au regard droit, altier et rageur.
« Comme ceux qui avaient connu les sables et les rizières, les geôles, la clandestinité et les services secrets, Ronan ne s'exprimait guère, ce qu'il avait vécu dépassait le vocabulaire commun. La guerre avait été son métier, le silence un sacerdoce, il avait été là où la Légion combattait . « Un mépris absolu du danger », précisait son matricule. [...] Aujourd'hui, même si les silhouettes s'estompent, que les enjeux se sont effacés, lorsque je me risque par ce même sentier qui s'entortille au-dessus de la grotte Absinthe et des anses discrètes, comment ne pas songer à lui ? Sculpté par le vent jusqu'à imiter un idéogramme, ce pin de Monterey qui défie l'à-pic de la falaise l'aura vu passer, si jeune, courant vers son destin...»
Son père, Pierre, un aventurier au coeur lourd, dont l'auteur aurait espéré de l'aide, de l'empathie devant cet immense projet de reprendre la vie de son grand-père ... « [...] la vie d'un homme était celle de tous les hommes, et la peine d'un père, celle de tous ses fils. »
« Cette histoire avait fini par sédimenter en lui, le silence était son deuil. Impossible d'approcher, de tourner autour, d'en parler de manière intelligible. Pierre coupait court, éludait, rechignait. Faisait barrage. [...] ce qui avait bouleversé mon père me faisait souffrir à mon tour, c'était devenu mon héritage, ma part [...] Ne rien tenter de savoir, n'était-ce pas les abandonner les uns et les autres, et me perdre à mon tour ? Au fond, à cause de ce manque, n'arriver jamais à me saisir en entier ? »
« Pierre avait pris sur lui, petit garçon au chagrin vissé à l'intérieur qui avait dû grandir, il avait tenté de dépasser le vertige d'être à jamais un enfant sans père, un enfant de déporté, un orphelin qui attend, et il m'avait confié sans le vouloir le relais, le témoin comme on dit dans une course, moi-même plus insolé que les autres, d'un tempérament plus sensible ou plus fragile peut-être, tentant de m'en défaire, en raboutant ce qui ne passait pas...»
Sa grand-mère, Jeanne, veuve de guerre à quarante-deux ans, « [une] beauté poussée au bord de l'abîme [...] elle semblait prise derrière ses yeux d'améthyste dans des rêveries dont nous n'évaluerions jamais ni les tourments ni les bornes. »
Un scénario intelligent, un beau témoignage, un bel hommage.
Un formidable, colossal et émouvant travail de mémoire.
Quel voyage ! Haletant, vivant, troublant, percutant.
Dans le carré final pour le Goncourt, bien mérité.
Peut-être le futur Goncourt 2019 ?
Merci
Jean-Luc Coatalem, d'avoir écrit cette histoire, votre histoire. Elle est belle, elle est triste, mais elle est belle. J'ai découvert votre écriture avec "
Nouilles froides à Pyongyang" que j'avais beaucoup apprécié; je l'ai savourée avec "
La part du fils".
Il y aura d'autres rendez-vous. MERCI.
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