Il a fallu que j'arrive à la dernière page pour prendre conscience que quelques jours seulement séparent le début et la fin de ce roman de
Jonathan Coe,
Billy Wilder et moi. Pendant que Calista raconte sa première rencontre avec
Billy Wilder (1976) et les moments qu'elle a passés avec lui ou dans son entourage immédiat, ou encore qu'elle survole sa propre carrière de musicienne jusqu'en 2016, le temps semble s'être arrêté, et le roman se clôt comme il s'est ouvert : sur l'image d'une enfant donnant la main à sa mère. Pendant son premier voyage aux États-Unis, Calista, la bien nommée, vit une extraordinaire aventure : le hasard l'amène à partager un repas dans un grand restaurant de Los Angeles avec
Billy Wilder, Iz Diamond ainsi qu'Audrey et Barbara, leurs épouses respectives. Calista les charme tous par sa beauté, mais surtout par sa sympathique maladresse, sa touchante naïveté et son abyssale ignorance du cinéma et de son univers. Elle leur laissera la carte de visite de ses parents qui, comme elle, vivent en Grèce. Et voilà que, pour tourner Fedora, son avant-dernier film,
Billy Wilder se rend en Grèce quelques mois plus tard, et qu'il a besoin d'une interprète…
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J'ai beaucoup aimé ce roman qui, sous une apparence de légèreté, traite essentiellement du temps qui passe, un thème incontournable chez
Jonathan Coe. On y retrouve un réalisateur de génie,
Billy Wilder qui, passé de mode, se voit contraint de céder la place à de « jeunes barbus », certes talentueux, mais qu'il ne comprend pas, et lui, l'homme à qui l'on doit tant de succès, peine à trouver un financement pour tourner Fedora. le personnage de cette femme incarne une sorte de double du réalisateur, ou plutôt de personnage miroir se débattant dans des problèmes du même type que les siens.
Jonathan Coe a tenté de cerner la vie de Wilder au plus près, non seulement en lisant ou en visionnant des documents le concernant, mais en contactant nombre de personnes qui l'avaient bien connu et, pour certaines, qui avaient travaillé avec lui. Il restitue un personnage qu'il veut proche du réel, exigeant, colérique, parfois insupportable au travail, plus mesuré, subtil, très drôle et capable d'autodérision à d'autres occasions. Quand il prend des libertés avec la réalité, il s'en explique dans les « Remerciements et sources ».
Jonathan Coe situe la plus grande partie de son roman en Europe, peut-être pour bien marquer le fait que Wilder est un immigré et qu'il est resté infiniment attaché à l'Europe. Wilder accorde de l'importance à la nourriture et se gausse des goûts de Pacino qui semble se nourrir de hamburgers où qu'il soit... Une bonne cinquantaine de pages bouleversantes sont écrites sous la forme d'un scénario qui donne à voir la blessure intime et permanente du réalisateur. La jeunesse et l'innocence de Calista, interprète puis assistante, tempère la mélancolie de
Billy Wilder, sur le déclin dans la perception que les autres ont de lui et parfois même dans son propre regard. le lecteur est donc convié à « découvrir » le réalisateur par les yeux d'une jeune femme qui ne s'intéresse au cinéma que depuis très peu de temps et qui récite des jugements lapidaires et souvent datés qu'elle tire d'une encyclopédie... Cette innocence le rend plus touchant, me semble-t-il. Encore un beau roman ! Si la politique en est cette fois absente, l'Histoire et ses conséquences y tiennent une grande place.