Ce court roman est une très touchante histoire à la fois de famille, de solitude, et d'amitiés qui tentent d'y remédier ; une histoire de racines, de mélèzes qui ont poussé dans des ruines et que l'on tente de replanter ailleurs, mais qui parfois en meurent.
Pietro est un tout jeune citadin quand ses parents décident de renouer, durant chaque vacances, avec les montagnes de leur jeunesse. Sa mère lui fait apprécier les marches en forêts tandis que son père tente de l'initier aux randonnées de haute montagne. Son but : gravir, si possible avec son fils, tous les sommets alentours qu'il cartographie scrupuleusement à chaque retour. Et si, au départ, Pietro n'apprécie que moyennement ces moments seul avec son père, ils lui font finalement entrevoir une face nouvelle de sa personnalité qu'il tente d'appréhender et, surtout, de ne pas décevoir.
Car ces randonnées semblent avoir pour son père un sens plus profond, n'être pas seulement un défouloir ni un but abstrait à atteindre, mais constituer une quête initiatique qu'il semble vouloir entamer avec son fils, autant qu'une manière de se livrer. le père de Pietro semble s'y ressourcer tout autant que se perdre dans ses souvenirs. Il semble aussi vouloir lui enseigner une chose importante encore hors d'atteinte pour Pietro, ainsi que réaliser, par ces exploits successifs, une sorte d'expiation ou de quête plus personnelle dont les contours se dessinent lentement.
En attendant d'en comprendre le sens exact, Pietro va se lier d'amitié avec un jeune montagnard de son âge. Une amitié aussi solide qu'elle est masculine, faite de silences et de pudeur, qui se tisse en peu de mots, peu de gestes et avec beaucoup d'espaces qui n'ont pas besoin d'être comblés. « Si ça n'avait tenu qu'à nous, nous ne nous serions pas appelés pendant des années, comme si notre amitié se passait d'entretien. C'était ma mère qui nous donnait des nouvelles l'un de l'autre, elle qui était habituée à vivre parmi des hommes qui ne se parlaient pas ». Une amitié plus forte que la distance et que leurs différences : Pietro, le citadin qui aime la montagne et ne se sent chez lui nulle part, et Bruno, le montagnard de souche, ce mélèze qui ne pense pas survivre si on le déracine pour le replanter ailleurs ("Toi, tu es celui qui va et qui vient, moi je suis celui reste. Comme toujours, pas vrai ?").
Pourtant le destin se chargera de les réunir et, par le biais de leur histoire commune, Pietro se trouvera finalement au plus proche de celle de son père. Parachuté malgré lui dans ses pas, il en comprendra les errances, les silences, les gestes et les bribes d'enseignements énigmatiques qu'il voulait lui transmettre.
« - Ah, dit-il. Je vois, tu fais le tour des huit montagnes.
- Quel
les huit montagnes ?
L'homme ramassa un petit bâton avec lequel il fit un cercle dans la terre. le motif était parfait, on voyait qu'il avait l'habitude de le dessiner. A l'intérieur, il traça un diamètre, puis un deuxième, perpendiculaire au premier, et puis encore un troisième et un quatrième le long des bissectrices, obtenant ainsi une roue à huit rayons.
(…)
" Tu as déjà vu ce dessin ? me demanda-t-il.
- Oui, lui répondis-je. Dans les mandalas.
- Exact, dit-il. Nous disons qu'au centre du monde, il y en a un autre, beaucoup plus haut : le Sumeru. Et autour du Sumeru, il y a huit montagnes et huit mers. C'est le monde pour nous.
Tout en disant ces mots, il traça une petite pointe au dessus de chaque rayon, puis une vaguelette d'une pointe à l'autre. Huit montagnes, et huit mers. A la fin, il entoura le centre de la rue d'une couronne qui devait, pensai-je, être le sommet enneigé du Sumeru.
(…)
Il planta son bâton au centre et conclut :
« Et nous disons : lequel des deux aura le plus appris ? Celui qui aura fait le tour des nuits montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru ? ».
*****
J'ai bien aimé ce roman : son humanité, le cadre parabolique qui se prêtait à la quête de chaque personnage, l'absence de jugement des personnalités et modes de vie de chacun, les questions existentielles dont les personnages trouvent leurs propres réponses en eux, au fur et à mesure de leur avancement sur leur chemin de vie.
"A bien des égards, l'homme qu'il était devenu me surprenait. J'avais imaginé trouver peut-être pas le portrait craché de son père, mais au moins celui de ses cousins, ou d'un des maçons qui, dans le temps s'asseyaient à côté de lui au bar. Mais il n'avait rien à voir avec eux. On aurait dit quelqu'un qui, à un moment donné de sa vie,avait renoncé à la compagnie des autres, s'était trouvé un coin du monde et s'y était retranché."
Concernant la plume,
Paolo Cognetti sait raconter les histoires et nous les faire nous les approprier, oscillant entre récit intimiste mis en relief par "la nature" et l'isolement de chaque personnage à sa manière, et conte philosophique.
Grâce à une construction parfaitement maîtrisée, chaque question disséminée dans son récit trouve son élément de réponse au fur et à mesure que ses personnages grandissent, progressent et apprennent des épreuves de la vie. J'ai aimé sa façon de boucler toutes les boucles entamées, qui en forment une plus grande encore : celle du roman lui-même.
C'est beau, feutré et lumineux, ça fait du bien. On a tous en nous nos solitudes et nos amitiés, nos forces et nos limites. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de vivre sa vie : Il n'y a que celle qu'on se construit et dont les choix nous mènent, inéluctablement, vers nos destins.