Citations sur Le Blé en herbe (148)
Mais un creux de dune entre la villa et la mer, empli jusqu'au bord de chardons des sables, bleus dans leur fleur, mauves au long de leur tige cassante, méritait de s'appeler "le miroir des yeux de Vinca".^p.49
Aucun livre, parmi tous les livres qu'il lisait librement, les coudes dans le sable, ou retiré, par pudeur plutôt que par peur, dans sa chambre, ne lui avait enseigné que quelqu'un put périr dans un si ordinaire naufrage. Les romans emplissent cent pages, au plus, de la préparation à l'amour physique, l'évènement lui-même tient quinze lignes, et Philippe cherchait en vain, dans sa mémoire, le livre où il est écrit qu'un jeune homme ne se délivre pas de l'enfance et de la chasteté par une seule chute, mais qu'il en chancelle encore par oscillations profondes et comme sismiques, pendant de longs jours...
Toute leur enfance les a unis, l'adolescence les sépare.
Sur ce roc incliné, il rêva de possession comme en peut rêver un adolescent timide, mais aussi comme un homme exigeant, un héritier âprement résolu à jouir des biens que lui destinent le temps et les lois humaines. Il fut, pour la première fois, seul à décider du sort de leur couple, maître de l'abandonner au flot ou de l'agripper à la saillie du rocher, comme la graine têtue qui, nourrie de peu, y fleurissait...
Il cachait de son mieux une douleur qu' il ne comprenait pas .Qu' avait-il donc conquis, la nuit dernière, dans l' ombre parfumée, entre des bras jaloux de le faire homme et victorieux ? Le droit de souffrir ? Le droit de défaillir de faiblesse devant une enfant innocente et dure ? Le droit de trembler inexplicablement , devant la vie délicate des bêtes et le sang échappé à ses sources ?...
Il regardait la plate et gracieuse fille, qui descendait à cette heure vers la mer.
Il n' avait plus l' envie de la caresser que de la battre , mais il la voulait confian-
-te , promise à lui seul, et disponible comme ces trésors dont il rougissait -
pétales séchés, billes d' agate, coquilles et graines, images, petite montre
d' argent ...
Août finissait, et l'on dînait déjà à la lueur des lampes, les portes ouvertes sur le couchant vert où nageait encore un fuseau de cuivre rose. La mer déserte, d'un bleu-noir d'hirondelle, dormait, et quand les dîneurs se taisaient, on entendait le petit flux lassé et régulier des marées de morte-eau.
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Elle ferma les yeux, renversa la tête, caressa de la voix ses dernières paroles, et ressembla avec une fidélité étrange, à toues les femmes qui renversent le col et ferment les yeux sous un excès de bonheur. Pour la première fois, Philippe reconnut en Vinca la sœur de celle qui, les yeux clos et la tête abandonnée, semblait se séparer de lui, dans les instants même où il la tenait le mieux embrassée.
... Ils refermèrent, ensemble, le judas par lequel, retranchés dans l'amour, ils communiquaient parfois avec la vie réelle. Ils envièrent, pareillement, la puérilité de leurs parents, leur facilité au rire, leur foi dans un avenir paisible.
Elle ne cherchait pas de paroles après ce cri trivial . Elle couchait contre elle le corps du garçon affaibli, et serrait
une tête brune sur ses seins qu' un peu de chair douce , toute neuve , arrondissait . Philippe s'abandonnait à une lâche et récente habitude de passivité , acquise dans des bras moelleux ; mais s' il chercha, avec amertume
à peine supportable , le parfum résineux , la gorge accessible , du moins il gémissait sans effort le nom de " Vinca chérie...Vinca chérie..." .