Étant une fidèle lectrice de
Sandrine Collette, donc abonnée à ses voyages pour toutes les destinations, j'ai sauté à bord de ce nouveau navire, sans même lire la quatrième de couverture, et la surprise fût complète.
Tout d'abord, pas de dépaysement géographique, de continent à l'autre bout du monde ni de contrée désolée abandonnée par les humains. Clémence peut habiter dans votre ville ou village, votre quartier, votre immeuble ou le mien. L'autrice construit patiemment des récits sombres, très sombres, angoissants, car réalistes et plausibles. "
Ces orages-là" ne déroge pas à la règle, bien que, cette fois-ci, ce n'est pas une utopie, puisqu'il entraîne le lecteur dans les abysses sinistres de la psychologie d'une victime démolie par la perversion de son ancien compagnon. C'est un roman intimiste qui peut en dérouter plus d'un.
La dissection de l'âme humaine n'est pas chose aisée, encore moins sa compréhension. Toutes les explications et les analyses du phénomène de l'emprise qu'une personne peut exercer sur une autre sont claires et suivent un schéma de mise en place constant, identique pour toutes les victimes. Cette dépendance est très difficile à intégrer par "les autres", ceux dont l'esprit n'est pas soumis à cette pression continue et perfide, tout comme dans le cas des femmes battues.
Sandrine Collette propose la facette la moins obscure de cet enfer en présentant Clémence après sa courageuse fuite vers un ailleurs, premier pas de son long chemin vers sa reconstruction, avec son mal-être, sa méfiance, sa terrible solitude, sa foudroyante peur aux tripes et sa mésestime de soi due aux humiliations répétées. Se relever est terriblement laborieux et difficile quand le psychisme a été broyé méthodiquement jusqu'à ce que la victime ne puisse plus opposer une quelconque résistance. le tortionnaire est absent, mais le doute et l'emprise sont toujours bien ancrés, annihilant tout esprit de décision par des flash-backs traumatiques incessants. La liberté physique est une chose, la liberté psychique en est une autre. Comment redevenir soi-même quand on vit dans la terreur de la réapparition de l'Autre, que l'on est persuadée de son inutilité et que l'on croit à son inconsistance jusqu'à devenir transparente physiquement ?
le rythme du récit peut paraître traînant et indécis, contrairement aux autres romans de l'autrice qui présentent des personnages accablés par le destin, mais toujours battants et volontaires. Son écriture claque dans la noirceur intime du psychisme d'une femme brisée jusqu'à l'entraîner vers son point de rupture, tout en lui concédant de minuscules victoires, la poussant doucement vers la résilience. En phase avec le comportement et les difficultés de Clémence, elle aide le lecteur à suivre son cheminement, avec toutes ses hésitations et ses interrogations, même lorsqu'elle se met en danger.
La jeune femme est dans une solitude oppressante, craignant qu'un quelconque geste ou une parole malencontreuse soit à l'origine de l'effondrement du nouvel univers qu'elle essaie de se créer pour survivre au cataclysme qui l'a détruite. Pourtant, elle est aidée, sans le savoir, par le silence attentif de son entourage bienveillant. Manon, son amie de toujours, qui connaît son histoire et se veut être une épaule accueillante en la protégeant. Gabriel, son voisin de jardin, brisé par la vie qui est là, constamment présent et à l'écoute de ses moindres terreurs. Et enfin son collègue Flo qui sent son malaise, mais ne veut rien brusquer. Ce cercle restreint constitue une sécurité ténue contre le processus d'autodestruction qui ne cesse de la consumer.
Comme dans tous ses romans, après un essorage en règle des émotions,
Sandrine Collette laisse son lecteur lessivé, épuisé, mais pas dans une désespérance extrême. Il y a toujours une infime lueur d'espoir quelque part. Abordant un sujet de société mal compris, les violences conjugales et les relations toxiques, malheureusement bien plus répandu qu'on ne le croit et qui "n'arrive pas qu'aux autres", l'autrice donne une nouvelle marque de son talent de narratrice, en recréant les volutes tortueuses de la soumission et l'énergie surhumaine qu'un être brisé doit puiser au plus profond de lui-même pour mettre un terme à son cauchemar.
Comme le poisson, à moitié dévoré, du bassin de son sinistre jardin, Clémence, et toutes ses "jumelles" d'infortune, ont le droit de vivre libres et de guérir du syndrome post-traumatique qu'inflige l'emprise en se débarrassant de leur culpabilité !