Citations sur Ces orages-là (155)
C'est difficile à expliquer : jusque-là, il y a son âme, ou son ventre dévoré, qui ressemblent à des terres brûlées. Dedans, il n'y a plus rien. C'est un paysage après l'éruption d'un volcan, le monde après la fin du monde. C'est gris. C'est tout nu, tout lisse, on ne peut pas s'accrocher, cela brûle et on ne peut pas marcher. Et puis les sourires d'en face arrivent, que ce soit pour elle ou non, elle les attrape ; et là aussi, c'est comme le monde après la fin du monde. Mais plus tard. Au moment où les forces reprennent et que la terre renaît de ses cendres, parce que après la fin du monde, il y a le début du monde. Un autre. Le suivant. Au fond de Clémence, quelque chose revient à la vie. Elle perçoit presque physiquement la lumière et la chaleur, elle voit, imprimées sur sa rétine, les grandes herbes et les fleurs qui poussent et s'épanouissent et ondulent, qui font un pansement dedans son ventre, et toutes les douleurs et toutes les brûlures s'apaisent, cela dure un instant, un instant seulement. Pendant cet instant, elle entrevoit le salut.
Les autres, Clémence ne les a pas encore mémorisés, et chaque fois il y a ce sourire, ce signe pour elle aussi, et Flo et Rémi qui s’activent derrière la vitre, une seconde où elle se sent exister. C’est idiot parce qu’elle ne connaît personne, elle n’a jamais passé la cloison, cloîtrée derrière sa buée – mais Clémence, cela lui fait du bien. Le temps d’un clignement d’yeux, le temps d’un mensonge, cela lui fait de l’amour. C’est difficile à expliquer : jusque-là, il y a son âme, ou son ventre dévoré, qui ressemblent à des terres brûlées. Dedans, il n’y a plus rien. C’est un paysage après l’éruption d’un volcan, le monde après la fin du monde. C’est gris. C’est tout nu, tout lisse, on ne peut pas s’accrocher, cela brûle et on ne peut pas marcher. Et puis les sourires d’en face arrivent, que ce soit pour elle ou non, elle les attrape ; et là aussi, c’est comme le monde après la fin du monde. Mais plus tard. Au moment où les forces reprennent et que la terre renaît de ses cendres, parce que après la fin du monde, il y a le début du monde. Un autre. Le suivant. Au fond de Clémence, quelque chose revient à la vie. Elle perçoit presque physiquement la lumière et la chaleur, elle voit, imprimées sur sa rétine, les grandes herbes et les fleurs qui poussent et s’épanouissent et ondulent, qui font un pansement dedans son ventre, et toutes les douleurs et toutes les brûlures s’apaisent, cela dure un instant, un instant seulement. Pendant cet instant, elle entrevoit le salut.
Il y a des gens comme ça, des sauveteurs, des saint-bernard, il y a des gens comme ça : qui ne savent rien faire pour eux-mêmes mais sont des magiciens pour les autres.
La nature est le premier modèle de la duperie et de la cruauté, mais cela, ce sont des mots que l’humain a mis dessus : juste, c’est la nature. Il n’y a qu’à suivre son exemple.
Tout se reconstruit, elle le sait. Même après les plus grands combats, et les plus grandes blessures.
Le temps du deuil – quelle affreuse, quelle impossible expression. Le temps de cela n'est pas concevable, il est infini, il ne se répare pas, ni ne cesse.
Quand on peut pardonner, on peut guérir.
Il avait refait sa vie, selon cette affreuse expression qui sous-entend que l’on peut gommer celle d’avant et recommencer comme si de rien n’était.
Derrière la haie de thuyas, Clémence observe le jardin du voisin. Un grand jardin bien entretenu. Le voisin arrose chaque jour. Ils ne se sont jamais vus. Ils ne se sont jamais parlé. C'est ça la ville. Plein de monde – plein de gens seuls.
Quinze ans : pour les autres, c’est plus que le temps nécessaire pour guérir de cette chose inguérissable. Au début, tout le monde comprend, tout le monde s’immobilise, priant seulement que cela n’arrive qu’ailleurs. Mais si une vie s’est arrêtée, les autres continuent. L’existence les reprend. Il y a juste une place vide. Le temps du deuil – quelle affreuse, quelle impossible expression. Le temps de cela n’est pas concevable, il est infini, il ne se répare pas ni ne cesse. Colin n’est jamais revenu. Il n’y a pas eu de miracle. Alors Gabriel a fait semblant, pour que les autres se rassurent, pour ne pas sombrer tout à fait.
Semblant de guérir. Seulement ce n’est pas vrai, il n’est pas apaisé. Il ne veut pas l’être. Il se contente de mentir, pour qu’on lui foute la paix. Le jour, il mime, il feint, il joue. Il brille, il ouvre les bras, il éclate, tout le monde l’aime. Personne ne se doute que la blessure à l’intérieur, plus que cicatriser, est devenue un abîme. Le soir, l’alcool colmate la plaie à grand-peine pour tenir un soleil de plus, des petites révolutions d’aube en aube, au moment où les ténèbres cèdent. Gabriel est une marionnette, un chiffon. Le destin l’agite chaque jour, l’obligeant à vivre, pantin superbe qui parle et rit et rayonne, sidérant les autres – un spectre de lumière, une illusion d’or et de sang.