Je n'ai pas formé le dessein de commenter mes croquis au brou de noix en écrivant un guide, et moins encore un résumé de l'histoire de ma ville natale qui porte déjà le poids de tant de compilations savantes, dont deux générations n'ont pu couper toutes les pages dans leur exemplaire de sa Bibliothèque publique et que chacun peut se procurer d'ailleurs en parcourant les listes de la bibliographie locale.
Comme le Jacques Tournebroche de la Reine Pédauque, je veux me donner un plaisir d'abeille en butinant dans mes lectures et dans mes souvenirs. Ce qu'il m'importe de dégager de la physionomie de cette ville, c'est tout d'abord son atmosphère. La qualité de la lumière, plus encore que le pittoresque des canaux et des vieilles rues à arcades, fait le vrai charme de
ma cité; j'en retiendrai ce qu'il convient d'en regarder comme ses titres de haute noblesse, ce qui fait son grand prestige au loin, ce qui l'enrichit aux yeux des penseurs, ce qui lui survivrait, malgré tout, même si elle venait à être rasée comme Lens ou Tergnier ; ce qu'on y peut retrouver encore avec un peu de sensibilité et des lectures ; puis certains traits de mœurs qui, tout autant que les vieilles pierres, ennoblissaient naguère ce groupement d'hommes et qui s'en vont grand train, dans l'oubli de leur signification ancestrale.
Et voilà comment, à Capri, devant les horizons de la mer Tyrrhénienne, un Anglais m'ouvrit les yeux sur les supériorités réelles de mon pays; voilà pourquoi, grâce à mon croquis, cette leçon ne fut pas perdue et comment j'essaie, à mon tour, de vous éclairer, mes enfants, par ce livre, sur des aspects d'Annecy et du lac que vous avez eus sous les yeux, comme moi, depuis votre enfance, sans les bien voir; puissiez-vous les regarder désormais, au travers de mes émotions d'homme, avec des yeux avertis et une âme plus sensible!