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Ce que j'aime chez Corneille, c'est de sentir toujours ce petit fond d'ironie, ce petit oeil pétillant, ce sourire en coin glissé au creux de quelques tirades. Car les tragiques grecs étaient des gens très sérieux ; l'ami Racine, malgré tous ses talents, n'était pas franchement un marrant non plus. Tandis que le regard facétieux de Pierre Corneille, on le retrouve jusque dans l'architecture de la pièce.

En tous points, on croirait dur comme fer assister à une tragédie : le ton, la grandiloquence, l'héroïsme, la trahison...
... mais tout se finit bien, le héros n'est pas lâchement assassiné par un fou démoniaque ou un calculateur politique et le sang brille même par son absence alors que du début à la fin on s'attend à s'en prendre des pleines giclées dans les yeux. Amateurs d'hémoglobine, passez votre chemin.

Outre cette entorse au canon de la tragédie, on retrouve quelques répliques qui, sans être de franche rigolade, dénote un fond d'humour, une saillie, une répartie comme Voltaire ne la dédaignait pas, lui qui a pourtant abondamment critiqué cette pièce. Serait-ce de la jalousie ? Allez savoir…

L'auteur s'inspire vaguement de l'histoire, et exhume de quelques lignes de Justin, d'Appien, de Diodore de Sicile ou encore de Plutarque, deux ou trois faits vraisemblables datant d'environ 200 ans avant JC qu'il badigeonne de sa peinture bien à lui pour en faire un tableau de l'Orient qui rappelle à s'y méprendre certains des événements de France contemporains de son écriture (1651).

Nous voilà donc au Proche-Orient, actuelle Turquie mais qui n'avait évidemment pas ce nom à l'époque, constellation de provinces et de petits royaumes qu'on nommait Bythynie, Cappadoce, Pont, Galatie, Phrygie, Lydie, Paphlagonie, etc.

Prusias est roi de Bythinie dont la capitale, Nicomédie (actuelle Izmit) n'est certainement pas étrangère au nom de son premier fils Nicomède, issu d'un premier mariage. Celui-ci est vaillant, noble et juste. Au demeurant, ce jeune prince est un chef de guerre étonnant qui a agrandi par ses conquêtes le royaume de son père de trois royaumes voisins.

Mais Prusias s'est remarié avec la belle et perfide Arsinoé dont il a un second fils, Attale. Arsinoé ne recule devant aucune vilenie et aucun complot pour favoriser son fils au détriment du légitime et populaire Nicomède. Attale, fraîchement arrivé dans le royaume de son père, a été élevé à Rome pour s'y imprégner des façons raffinées du grand terrifiant voisin SPQR.

Mais à la vérité, le problème n'est pas là. Ce qui coince de tous côtés, c'est la belle Laodice, héritière du trône d'Arménie, folle amoureuse de Nicomède. Rien ne semble contrecarrer ses projets puisque le noble héros brûle lui aussi d'une flamme sans égale pour Laodice.

Or, le hic de tout cela c'est que le jeune et inexpérimenté Attale s'est lui aussi piqué de la sublime Laodice et que Rome, dont la pesante tutelle sur Prusias se fait lourdement sentir verrait d'un très mauvais oeil qu'un conquérant tel que Nicomède augmente encore sa puissance en s'adjoignant l'Arménie par mariage.

L'ambassadeur romain Flaminius met donc toute son industrie et tout son savoir-faire à vouloir briser les ailes de Nicomède et faire capoter à tous prix son mariage avec Laodice. Sans compter sur le fait que la félonne Arsinoé oeuvre à qui mieux mieux dans ce sens, évidemment au bénéfice de son fils Attale.

À ce stade, on sent bien les ressorts classiques de la tragédie, on imagine l'injustice, la trahison, le bain de sang et... et... et bah... rien de tout ça mes pauvres enfants ! C'est pourquoi je m'en voudrais de vous gâcher la fin en vous la racontant platement tandis que le monsieur Corneille est si doué et qu'il fait sonner les vers comme personne.

Si l'on se demande maintenant pourquoi Corneille a refusé de faire mourir Nicomède, pourquoi la traitresse est incarnée par Arsinoé, pourquoi la révolte populaire est arrêtée de justesse, etc., etc., il faut probablement aller chercher l'explication dans le contexte politique français d'alors.

Quiconque voyait la pièce à l'époque ne pouvait s'empêcher de mettre Louis XIV sous la perruque de Nicomède, de même que les tractations troubles d'Arsinoé devaient évoquer, par certains aspects la cuisine d'Anne d'Autriche et la révolte populaire, la Fronde. On comprend mieux alors qu'il n'était pas vraiment possible à Pierre Corneille de faire mourir Nicomède, ni de faire s'écharper les grands du royaume dans un bain de sang frénétique, d'où cette construction surprenante, qui a la couleur d'une tragédie, l'odeur d'une tragédie, mais qui n'est nullement tragique.

En somme, une bonne tragi-comédie, probablement plus agréable à lire qu'à voir sur scène car elle repose davantage sur la réflexion et la parole que sur l'action. Je ne la trouve cependant pas du niveau des super tragédies ou tragi-comédies que nous a livré Corneille, mais ce n'est bien évidemment qu'un avis faiblement éclairé, qui n'engage que moi et qui, d'ailleurs, ne signifie pas grand-chose.
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La pièce a été jouée la première fois et imprimée en 1651. Elle semble avoir connu du succès et a continué à être jouée. Pour les sources qui l'ont inspirée, Corneille évoque le seul Justin. Des parallèles dans l'intrigue et les thématiques peuvent être établies avec d'autres tragédies de l'époque, La mort de Mithridate de la Calprenède, et surtout Cosroès de Rotrou.

Justin fournit une trame forte pour une tragédie : Prusias, roi de Bithynie, projette d'assassiner son fils Nicomède, pour favoriser des enfants nés d'un second mariage. Le prince découvre les intentions de son père, se révolte, chasse son père du trône. Prusias finit tué par son fils, même si une incertitude sur les circonstances de la mort demeurent. Nous avons donc ces fameux surgissements des violences au sein des alliances, susceptibles d'éveiller la pitié et la terreur chez le spectateur.

Mais Corneille change très fortement le récit de Justin. Dans sa pièce, Prusias est certes monté contre Nicomède par sa femme, Arsinoé, et poussé à favoriser son propre fils, Attale. Ce dernier, élevé à Rome, est également appuyé par Flaminius, ambassadeur romain. Ce qui provoque le plus la discorde entre les deux frères est évidement une femme, Laodice, reine d'Arménie. Promise à Nicomède, elle est courtisée par Attale. Flaminius pousse à ce mariage, car ainsi les deux royaumes ne seront pas réunis, Attale régnant en Arménie et Nicomède en Bithynie. Suite aux menées d'Arsinoé et Flaminius, Prusias fait arrêter Nicomède, qu'il compte remettre aux Romains. Laodice pousse le peuple à se révolter, pour soutenir son prince. Attale comprend qu'il est le jouet des Romains ; en effet, s'il devient roi de Bithynie, Flaminius empêchera son mariage avec Laodice. Il aide donc Nicomède à s'échapper. le prince fait grâce à son père, et la pièce finit par une réconciliation familiale.

Corneille a au final éliminé les projets de meurtre chez Prusias, et leur réalisation chez Nicomède. Prusias est davantage un faible, qui a une peur du pouvoir romain, qu'un père dénaturé. Nicomède est la noblesse et la générosité personnifiées. En fait, depuis Horace, Corneille s'est donné comme contrainte que le premier personnage soit vertueux et innocent de crime. Nicomède ne pouvait donc tuer ou faire tuer son père. Ce dernier aurait pu se suicider, ou être tué par un tiers contre la volonté de Nicomède, mais dans des tragédies précédentes, Corneille avait déjà utilisé ces procédés. D'une certaine façon, il essaie donc autre chose, une trame dans laquelle personne n'est réellement mauvais, même Attale et Arsinoé, qui finissent par reconnaître la vertu de Nicomède.

Cette pièce pourrait appuyer l'analyse que Marc Fumaroli de certaines pièces de Corneille, en opposant son approche du théâtre à celui des « Anciens ». Corneille s'est prononcé très clairement en faveur des auteurs modernes, qu'il considérait comme finalement supérieurs aux antiques. Aux héros ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants prônés par Aristote il préfère des hommes très vertueux ou très méchants dans le malheur. Il s'agit d'un choix moral, de principe, dicté par une vision du bien et du mal différent des auteurs antiques. le bien et le mal sont clairement différenciés, et le héros fait un choix entre les deux. Cette différenciation trouve sa source dans la religion, dans la morale chrétienne. Cette dernière permet à l'auteur chrétien d'imprimer à sa dramaturgie une éthique nette et efficace. L'intérêt dramatique va résider dans le conflit entre les tenant du bien et du mal. Le spectateur va espérer le succès du héros vertueux et attendre la punition des crimes. le dramaturge prend des risques à décevoir les attentes de ses spectateurs, car elles prennent leur source dans le dogme chrétien de la justice providentielle. Dieu prend fait et cause pour le juste, et punit le crime, même dans une situation à priori désespérée.

Nicomède est un cas limite (mais beaucoup des pièces de Corneille le sont, tant il s'ingénie à aborder la construction des intrigues sous un nouvel angle à chaque fois), car il n'y a pour ainsi dire plus de méchants, tout au moins à la fin de la pièce. La bienveillance divine est allée cette fois jusqu'à rendre leur bonté originelle à tous les personnages de la famille royale de Bithynie. Corneille ne va pas récidiver dans une optique si extrême par la suite, mais Nicodème est en quelque sorte une pièce qui fait triompher pleinement la providence bienveillante dans une situation qui aurait pu virer au drame le plus noir. Qui aurait été chez les anciens une tragédie sanglante, sous le regard ambigu des dieux antiques.

Challenge Théâtre 2017-2018
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Il s'agit ici de théâtre classique, une tragédie en cinq actes, écrite en vers, qui se déroule dans le royaume de Bithynie (actuellement en Turquie) et dont le sujet principal est la politique.
Nicomède est confronté à la haine de sa belle-mère (Arsinoé) et aux intrigues de la cour. Il doit aussi prendre garde à l'influence de Rome, qui agit hors de ses frontières, avec l'aide de son ambassadeur (Flaminius), influence d'autant plus importante que Attale, demi-frère de Nicomède, a été formé à Rome et qu'il vient de revenir en Bithynie. Prusias, roi vieillissant de Bithynie devrait bientôt quitter son trône, qui lui succédera Nicomède ou Attale?
Par ailleurs, Laodice (reine d'Arménie) a été confiée au roi Prusias par son père, et une rivalité amoureuse est née entre Nicomède et Attale. Donc, cette tragédie mêle politique et amour, avec une place plus importante accordée à la politique. C'est sans doute ceci qui m'a fait trouver des longueurs à cette pièce...
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Que seraient les tragédies classiques si les personnages féminins étaient au premier plan, et non des amantes qui pleurent ? Parmi les plus grands personnages de Corneille, il y a des femmes, des reines, Médée, Cléopâtre, Sophonisbe par exemple. Elles sont intéressantes car elles aiment le pouvoir et sont prêtes à tout pour le conquérir ou le garder, car elles ont aussi des désirs et pour certaines les affirment. Elles sont donc en-dehors des représentations traditionnelles des femmes, et c'est pour cela que ce sont de grands personnages.
Ici, il aurait pu y avoir une très grande confrontation, entre Arsinoé la mère prête au meurtre pour donner le pouvoir à son fils, quitte à manipuler son vieux mari, et Laodice, amante mais reine qui tient à son propre pouvoir et qui organise des troupes. Elles ont une grande scène en commun dans l'acte V.
Mais dommage, c'est Nicomède qui est le héros éponyme, alors qu'il est trop parfait - bon général, bon fils, bon frère, bon amant, bon négociateur... Ce sont les personnages secondaires ne cette pièce qui m'ont plus intéressée : Flaminius le traître mais qui est en réalité justifié par la "real-politique", les intérêts de Rome avant tout, Prusias vieux roi faible, Attale qui semble d'abord un jeune innocent trop naïf avant de se révéler à la fin.
Une pièce originale donc, grâce à des personnages et une intrigue qui n'est pas complètement "classique".
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Une tragédie qui finit bien et qui met en face de nombreux sentiments humains exprimés dans les actions des héros. Nicomède a le sens de l'honneur, il est courageux ("Et si Flaminius en est le capitaine, nous pourrons lui trouver un lac de Trasimène.") magnifique dans sa stature que Corneille a très bien soignée. C'est donc une belle pièce pleine de références historiques, un plaisir à savourer.
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Le Discours de la méthode est devenu orphelin depuis un an, Pascal illumine les salons d'alors et le roman comique se met en vente.

Cette pièce, vingt et unième du répertoire de son auteur ne rassemblera pas l'enthousiasme attendu.

Tragédie et comédie à la fois n'atteignant pas l'intérêt que l'on peut en attendre comme l'avait si justement constaté
Voltaire:" Ce genre de tragédie ne se soutenant point par un point par un sujet pathétique, par de grands tableaux, par les fureurs des passions [...]
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Pièce en cinq actes de 1651 l'une des préférées de son auteur et qui le fut aussi du public.Inspirée de faits historiques (plus ou moins arrangés) elle offre au dramaturge une intrigue fourmillant de conflits: géopolitique (Rome et ses alliés),politique ( rivalité pour le pouvoir) familial ( entre père et fils,entre mère et fils,entre frères) amoureux ( rivalité pour le même femme). Tout cela permet d'exalter la perfection morale du héros éponyme . Cette absence de faille chez le personnage rend (pour moi) le tout un peu trop lisse.A noter que pour le public de l'époque cette intrigue résonnait avec les troubles de la Fronde.
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Plongee dans l'antiquite pour cette piece du maitre qui comme toujours est superbement ecrite et realisée avec un suspense qui vous tiendra en haleine jusqu'à la fin bref une belle réussite !
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