Lorsque son fils Isiah lui apprend qu'il va se marier avec Derek, Ike Randolph lui demande comment la petite fille qu'il a adopté en payant une mère porteuse dira qu'elle a deux papas, et lequel fait la femme lui demandera -t-on. Et il refuse d'assister au mariage.
Trois mois après Isiah et son mari sont morts, tués sur un trottoir de Richmond.
Ike est noir, et assez à l'aise grâce à son travail.
L'autre père, Buddy Lee, représente cette catégorie de petits blancs pauvres qui soutiendraient le système esclavagiste s'il existait encore.
Et alcoolique.
Et plein d'humour.
Chacun, à sa façon, Ike et Buddy Lee, sont racistes et homophobes.
L'intérêt du livre, qui pourrait s'intituler le chagrin, est de présenter un éventail de sentiments, depuis la culpabilité de n'avoir pas accepté le bonheur de leur fils, la volonté de leur dire qu'ils les aimaient, déclaration qui arrive trop tard, la peur de se laisser aller à la violence s'ils veulent venger leur mémoire, l'idée insupportable que l'assassin se la coule douce et que la police n'en a rien à faire, enfin,
la colère, qu'ils connaissent bien l'un et l'autre , puisque, chacun appartenant à un gang différent, ils ont tué déjà et qu'ils ont passés des années en prison l'un comme l'autre.
La colère, d'abord contre l'homosexualité des fils, qui se transforme en colère contre les homophobes, à commencer par le discours du prêtre à l'enterrement, parlant d'abomination, puis contre eux-mêmes qui n'ont rien compris, puis contre leur assassin.
La colère joue comme un point d'union entre ces deux pères pourtant aux convictions opposées. Leur chagrin sans issue les force à opter pour la vengeance, autrement dit la haine, boostée par
la colère.
Ce ne sont pas des innocents, et, puisque l'histoire se situe à Richmond, capitale sudiste, ils savent d'avance qu'ils vont se heurter aux suprémacistes, aux bikers en bande armée, et aussi au gang des Noirs qui ont leurs QG.
Et nous, lecteurs, non seulement nous comprenons cette colère, mais n'aurions pas accepté la première proposition d'Ike, celle de ne pas se salir les mains.
Nous la comprenons, bien qu'elle soit vraiment violente (un peu trop d'ailleurs, à mon sens) parce qu'elle est basée sur le chagrin dit et redit de la perte de leurs fils, enterrés ensemble.
« Ça devrait être interdit par la loi, ces choses-là. »
Au-delà de tout, le chagrin d'avoir perdu leur enfant, le désespoir d'Ike lorsqu'il repense à l'enfance d'Isiah, désespoir sans remède les unit et les arme dans une amitié qui dépasse leur racisme initial, et leur homophobie mortelle.