Freeman W. Crofts est un des plus consciencieux parmi les fabricants de romans policiers d'Outre Manche. On l'a comparé avec raison à Gaboriau. Il en a la patience, la minutie, Ie souci du détail et la rigoureuse logique. On a donc eu raison de traduire ce nouveau « thriller » de Crofts qui est aussi bien fait que les autres, malgré un début un peu lent. Mais il est regrettable qu'on intitule pompeusement « texte français » une traduction qui constitue un véritable sabotage. Donnons-en au moins une preuve. Page 148 et suivantes on raconte que l'inspecteur French a trouvé au fond d'un tonneau un objet bizarre qui joue un grand rôle dans l'histoire :
« C'était un morceau de métal, très mince, qui pouvait avoir un « inche » d'épaisseur et quatre de longueur. On avait creusé un trou à l'un des bouts, passé une corde au travers, et fait un noeud en laissant pendre deux bouts de corde qui pouvaient avoir six « inches » de longueur. »
Le mot anglais inch veut dire pouce et désigne, comme notre mot pouce sous l'ancien régime, une mesure de longueur. le pouce anglais correspond à peu près à deux centimètres. Il est scandaleux que quelqu'un qui se charge de traduire des romans anglais ignore le sens d'un mot aussi usuel et la valeur d'une mesure aussi courante. Dire qu'un morceau de métal est très mince et qu'il a deux centimètres d'épaisseur est une idiotie, d'autant plus qu'on nous dit par la suite qu'il s'agit d'un ressort de montre ! Qui a jamais vu une montre avec un ressort de deux centimètres d'épaisseur ? Osera-t-on nier, après cela que Mme May Desmond ait littéralement massacré le texte anglais ? Nous avons déjà protesté, nous ne cesserons de protester avec la dernière énergie contre ces traductions sabotées qui constituent de véritables malfaçons et contre ces traducteurs de pacotille, dont la seule excuse est sans doute qu'ils ont besoin de manger (mais dans ce cas la responsabilité incombe aux éditeurs). On remarquera que notre sublime presse évite soigneusement d'attirer l'attention sur ce scandale – comme sur les autres.
Régis Messac
Les Primaires, n° 42, sept. 1933
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