...Nous avons pu constater dans plusieurs enquêtes menées dans des organisations publiques aussi bien que privées, que les employés les plus capables de participer, ceux qui étaient le mieux informés, les plus intéressés par la marche de l'entreprise, n'étaient pas du tout les bons employés, loyaux et fidèles au sens traditionnel, mais ceux qui paraissaient le moins liés à l'entreprise. La politique traditionnelle des entreprises, qui consiste avant tout à s'attacher leur personnel, est donc un non-sens du point de vue de la participation. La stabilité que l'on obtient ainsi s'achète au prix d'un gaspillage de ressources humaines.
Cette constatation paradoxale peut choquer, mais elle est finalement conforme à l'analyse psychologique la plus simple. On ne peut s'engager efficacement que si l'on est libre. L'homme de l'organisation traditionnelle, enfermé dans ses allégeances et ses fidélités, ne peut prendre le risque qu'implique toute participation. Si toute sa vie est engagée dans l'entreprise, il ne peut pas la compromettre en affirmant une opinion hétérodoxe. Il est donc amené à se limiter et à se protéger; ces limitations et protections pèsent sur la vie de l'entreprise, qu'elles tendent en fait à paralyser.Mais la liberté, qui est nécessaire pour la participation, exige une très grande faculté d'adaptation des individus. Et l'on peut se demander si une difficulté essentielle du développement de la participation n'est pas cette tradition de fidélité passive, cette passion de la sécurité,qui jouent un tel rôle par exemple chez les cadres français.
Le style administratif est au coeur de la vie collective française. Il est au centre de tous les modèles d'action et d'organisation de la société française. Deux traits se dégagent principalement :
- d'une part, la peur des relations face à face qui risquent d'entraîner des conflits ou des situations de dépendance et sont de toute manière une menace pour l'autonomie de l'individu;
- d'autre part, une conception absolutiste de l'autorité sans laquelle on ne peut imaginer la réussite de la moindre action collective.
Un très grand nombre des difficultés qui paralysent la vie collective en France leur sont associés :
- la très grande difficulté, que remarquait déjà Tocqueville, à lancer une action coopérative, un groupe ou une association qui soient vivants et constructifs - les rassemblements collectifs ne sont jamais que des organes de défense;
- l'incapacité de gérer les conflits de façon évolutive et dynamique..; ou bien on étouffe les conflits ou bien on se laisse déborder...
-la répugnance générale aussi bien dans les entreprises que dans les administrations à admettre la réalité des faits en matière de rapports humains;
- la très grande difficulté que l'on rencontre dans tous les domaines à créer des organisations souples, capables de s'adapter rapidement et d'innover...;
L'autorité absolue et arbitraire est maintenue dans son principe et comme dernier et rassurant recours, mais elle est rendue inoffensive par la centralisation qui l'éloigne et la stratification qui protège l'individu contre elle.
Notre
ordinateur quotidien
La moitié des actifs soit 10 millions de français travaillent aujourd'hui dans les bureaux. Louis DOUCET
interview M.
Michel CROZIER, C.R.N.S. "la bureaucratie actuelle est-elle un
héritage d'autrefois.... l'arrivée de l'
ordinateur correspond-elle à l'arrivée de la machine à trier ..." extrait de "MESSIEURS LES RONDS DE CUIR" (le dossier "quibotte").Image du Sicob qui vient d'ouvrir ses...