Vallée du silicium

La puissance donc, plutôt que le pouvoir. Ma puissance plutôt que leurs pouvoirs. Ma puissance de vivre et d’agir par moi-même, avec les forces qui me traversent et avec lesquelles je danse. Ma puissance d’éprouver le monde par mon corps et mon cœur, de persévérer dans mon être, pour reprendre la splendide expression de Spinoza.
Ma puissance de faire bruisser à ma manière cette boule de neurones et d’indétermination qui est une ruse inventée par la matière pour dépasser sa propre clôture et nous offrir le plus dérangeant des dons : la liberté. Pas celle du solitaire : celle des métissées. 

Entre la pizza et le tiramisu, Greg a cette phrase magnifique : « On n’est jamais le contemporain de son temps. »
Pour lui, nous sommes passés de l’ère de la matière à l’ère de l’énergie > puis à l’ère de l’information. Quelque chose comme un bois-feu-lumière si je le transcode en mode shi-fu-mi. À la fin des années quatre-vingt, les plus grosses entreprises mondiales étaient les compagnies pétrolières et les constructeurs de voitures. Aujourd’hui, ce sont les empires qui traitent l’information comme matière brute, qui forent, transforment et raffinent les données, ce nouveau pétrole. 

Disponibilité H24 + facilité + fluidité + fiabilité : tout pousse à minimiser l'énergie cérébrale que nous consacrons à des tâches jugées subalternes alors qu'elles participent à notre dynamique de pensée.

Un iour, des militants pirateront un système de navigation pour encercler de camions le domicile des actionnaires de Cruise. Ou recoderont un système de freinage pour former des bouchons sur Fisherman's Wharf et en faire un drive-in improvisé où l'on regardera Thelma et Louise sur la paroi d'un ferry. Des activistes comme Safe Street Rebel à Frisco continuerontà mettre des cônes orange sur les capots: ça immobilise les voitures. Des failles informatiques seront exploitées par des artivistes pour exiler les bagnoles hors des villes, dans la Death Valley, où elles danseront un dernier ballet sur le lac salé. Et nous transformerons dans la foulée les parkings qui leur étaient dédiés en parcs pour enfants. Un jour, on aura des accidents magnifiques et gigantesques liés à une interopérabilité foireuse. Ou pire, des Tesla autopilotées qui feront exploser le siège social de Waymo, à la Fight Club.

La loi du moindre effort est anthropologique.

Qui nous fasse éprouver le goût que prend le cosmos sur nos lèvres quand les étoiles pleuvent, qui nous fasse sentir ce que ça fait d'être cousu à même un collectif, fil à fil, à même la liberté des autres qui devient sienne.

A la lumière d'une méthode se trahit toujours une vision du monde.

Un jour, on comprendra peut-être qu'il n'existe pas de formule sociopolitique pour être tranquille à l'avance. Une société qui espère cette sérénité se suicide comme société libre.

Ce que je sais, c’est que personne n’avait imaginé l’impact anthropologique du smartphone, qui a été total. Le smartphone a tout simplement rebooté l’éthologie de Sapiens. Absolument rien de ce qui constitue nos modes d’être n’a été épargné : on ne travaille, ne joue, ne crée ou n’habite, on ne se déplace, ni n’échange, ne pense, ne danse ou ne baise comme on le faisait il y a encore trente ans. Tout a été intégralement révolutionné par un rectangle vitré de cinq centimètres par dix. Notre monolithe de 2001.

Il faut se concentrer sur ce qui dépend de nous, ça donne une certaine sérénité. On va se concentrer sur ce qui est en notre pouvoir, ne pas stresser sur ce qui échappe de fait à ton contrôle possible. Les objets technologiques vont te permettre de bien comprendre ce que tu peux vraiment changer : je peux vraiment changer la manière dont je vais m’alimenter, dont je vais dormir, faire du sport, dont je vais communique.