Soleil après soleil, lune après lune, l’humanité a poussé. ensuite, tout s’est accéléré. Le temps a débordé l’espace. La vitesse a pris de court la distance. L’urgence a pulvérisé l’horizon. L’insomnie a brûlé la forêt.
Il faut beaucoup aimer la chapelle Sixtine et la pyramide de Khéops et le son de Coltrane et le trait de Shitao et toute la littérature pour continuer donner les hommes
On ouvre les livres et ils nous parlent, surtout la nuit, ils sont au rendez-vous des pages qui s'ouvrent seules; le hasard n'existe pas dans les bibliothèques, les livres côte à côte se répondent. Échos. Et nous ne dormons pas.
Gardien de son propre désert, l'insomniaque fait sa ronde en se veillant lui-même.
L'insomnie est un ravin. Ceux qui cherchent le sommeil y luttent avec des ombres et déboulent dans des pierriers.
page 229 - Ces questions mille fois posées se doublèrent d'un régime de pensée absolument insomniaque : au moment même où j'allais trouver le sommeil, je me mettais à raconter, dans ma tête, la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvions. Ce n'était plus la situation elle-même mais son récit, qui m'empêchait alors de dormir, le récit étant comme sa conséquence ou sa séquelle. Au lieu de dormir je racontais et racontais, dépliant mentalement la vie en mots, cherchant le meilleur résumé possible (très long), la meilleure exposition (proliférante). Ce n'était plus la vie qui m'empêchait de dormir, mais les méandres de sa chronique. J'élaborais les phrases, leur enchainement, leur rythme. J'écrivais sans écrire. Mes interlocuteurs imaginaires changeaient, je les épuisais les uns après les autres, psys, meilleure amie, parent, voire simple connaissance, car tout l'intérêt qui trouvait mon cerveau en détresse était justement d'adapter, sans fin, le récit le plus juste à la meilleure écoute.
Les bébés ont "fait leurs nuits" et j'ai défait les miennes. A mesure que mes enfants apprenaient à dormir, j'ai désappris. J'avais, faut-il croire, échangé mon sommeil contre mes bébés.
Le délire est une des solutions pour supporter l'angoisse.
Je fais ce que je peux de tout ça. Je touille les mots dans mon chaudron.
A dormir quatre heures par nuit j'ai calculé que je gagnais tous les six jours 24 heures d'éveil, de vie.