Le 16 novembre 1919 j'ai été élu, au scrutin de liste, député du troisième secteur de Paris (rive gauche et XVIe arrondissement). Entendons-nous bien, député royaliste, et au cri de "Vive le Roi". Ce fut, chez les républicains, une stupeur générale. On n'imaginait pas qu'un tel événement fût possible. Le pauvre cardinal Amette, respectueux serviteur des décisions de Clémenceau, alors Président du Conseil et de son entourage, avait recommandé à ses ouailles de voter "sagement", c'est-à-dire pour la liste Millerand, dite d'union nationale, mais d'où les royalistes, ces pestiférés, étaient exclus.
Fidèle interprète des désirs gouvernementaux le cher Alfred Capus, alors directeur du Figaro, encore influent, nous avait laissé tomber, mes amis et moi, dans un entrefilet assez perfide qui lui valut, de ma femme, cette remarque sévère : "Capus, je vous croyais un ami, vous n'êtes qu'un convive".
Un Millerand, un Briand, un Poincaré, un Painlevé, plus tard un Herriot, un Tardieu, un Laval, un Paul Boncour, éperdus devant les innombrables complications politiques, financières, économiques et diplomatiques qui leur tombaient dessus en avalanches et devant lesquelles leur absence de doctrine, leur ignorance, leur outrecuidance, leur légèreté les condamnaient à l'impuissance, n'ont jamais eu qu'une pensée : se débarrasser d'elles sur des experts, ou prétendus tels, des commis de valeur éminente, parfois, mais craintifs, manquant d'envergure et ne s'entendant pas entre eux. Aucune unité dans les vues. Aucune coordination dans les services. Toutes les responsabilités esquivées, ou reportées, par les prétendus chefs de gouvernement.
Puis, soudain, un silence. Clemenceau venait de faire son entrée. Il avait ses gants gris et, dans l'allure, de la grandeur. Il ne s'imaginait certes pas que, quelques mois plus tard, il entrerait dans l'obscurité par la porte large ouverte de l'ingratitude de ce peuple français qu'il avait sauvé.
Les choses ont toujours tourné autrement que "techniciens" et compétences ne l'avaient prévu. de sorte que je ne crois plus ni aux experts, ni aux techniciens, ni aux compétences et que je les considère en bloc comme une collection de hâbleurs et de flibustiers.
Marcel Jullian sur les farces littéraires
Marcel JULLIAN raconte certaines farces littéraires de
Roland DORGELES et
Léon DAUDET.