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Pierre Glaudes (Éditeur scientifique)
EAN : 9782080712561
547 pages
Flammarion (28/12/2007)
4/5   159 notes
Résumé :
Le Désespéré est à la fois une autobiographie romancée et un prétexte à méditations lyriques et mystiques. Le héros Caïn Marchenoir y raconte sa vie avec Véronique. L'histoire est librement inspirée de la vie de Léon Bloy qui se révèle un romancier singulier : les événements et l'intrigue, chez lui, comptent moins que les grands thèmes intérieurs que développent d'immenses digressions.

Marchenoir raconte l'histoire de son âme douloureuse, de sa conver... >Voir plus
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le désespéré
Léon Bloy (1846-1917)
Tour à tour autobiographie romancée puis méditations lyriques et mystiques, et pamphlets à tout va, ce livre publié en 1887 et qui ne connut aucun succès, révèle un romancier très singulier au style stupéfiant, étincelant, flamboyant même, érudit et oratoire, qui parfois verse dans l'outrance, la grandiloquence et l'emphase. Mais peu à peu on se laisse porter par ces vagues de mots, mots rares ou inventés qui se succèdent au grand désarroi du lecteur lambda. À moins d'être un littéraire très averti, ce roman découragera plus d'un lecteur. Vu la richesse inouïe du vocabulaire, un dictionnaire accompagnera le lecteur curieux et scrupuleux.
Dès la première phrase, pourtant simple, qui cueille à froid le lecteur, on se demande où veut en venir le narrateur : « Quand vous recevrez cette lettre, mon cher ami, j'aurai achevé de tuer mon père… »
La lettre, c'est celle d'un certain Caïn Marchenoir à son ami Alexis Dulaurier afin de lui demander un peu d'argent destiné aux funérailles futures de son père. Car Marchenoir est pauvre et le restera toute sa vie. Alors il va se lancer dans une diatribe effrénée et irréfragable contre son père qui n'imaginait pas que son fils voulût devenir écrivain : « Avant que j'eusse fini de baver dans mes langes, avant même que je vinsse au monde, il avait soigneusement marqué toutes les étapes de ma vie, avec la plus géométrique des sollicitudes. Rien n'avait été oublié, excepté l'éventualité d'une pente littéraire. » Et le narrateur de considérer les deux épistoliers comme des grimauds ayant admirablement compris la nécessité d'écrire comme des cochers pour être crus les automédons de la pensée.
On sent à chaque instant chez l'auteur la plume d'un polémiste qui terrorise ses adversaires par sa plume virulente, d'un pamphlétaire usant d'humour pour tremper son calame dans une encre acide et clouer au pilori le catholicisme contemporain par l'entremise de Marchenoir : « Les misérables se tordent et meurent depuis deux mille ans devant cette inexorable énigme de la Promesse d'un Règne de Dieu qu'il faut toujours demander et qui jamais n'arrive. Et combien de centaines de millions d'être humains ont enduré la vie et la mort sans avoir rien vu commencer… » Parlant de Marchenoir : « Il s'était rué sur Dieu comme sur une proie, aussitôt que Dieu s'était montré. »
L'amour apporte un peu de douce légèreté aux propos flexueux de l'auteur lorsque Marchenoir, coquebin attendri d'une timidité naturelle, fruit d'une éducation compressive, se trouva prêt pour la grande tribulation passionnelle. Auparavant « il avait été chaste à la manière des prisonniers et des matelots, lesquels ne voient ordinairement dans l'amour qu'une désirable friction malpropre, en l'obscurité de couteux repaires. Tantale stoïque d'un festin d'ordures, il s'était résigné comme il avait pu, à la privation des inespérables immondices. »
Par la suite il vécut une passion malsaine pour les péripatéticiennes et fit la connaissance de Véronique Cheminot ; leur histoire est en fait la transposition de la relation de l'auteur avec une certaine Anne-Marie, une relation où la sensualité sera effacé par le mysticisme. Alors avec Véronique commença une cohabitation absolument et étrangement chaste, un séraphique concubinage qui fit de cette fille des rues un parangon de pureté.
Jusqu'au jour où Marchenoir décide de faire un séjour d'un mois dans un lieu retiré afin de faire le point. C'est à pied qu'il entreprend l'ascension du Désert de la Grande Chartreuse, « ruche alpestre des plus sublimes ouvriers de la prière, et une des dernières citadelles de l'esprit évangélique. »
L'antique solitude cartusienne est là devant lui, intact et sans macule, ayant résisté au torrent des siècles, haut lieu dont émane une paix auguste, « la jubilation de la terre devant la face du Seigneur Roi…, célèbre cité du renoncement volontaire et de la vraie joie ».
Marchenoir tel un cénobite a résolu de s'enfoncer dans le silence, dans la contemplation, « dans ce crépuscule d'argent de l'oraison qui guérit les colères et qui guérit les tristesses. » Alors il réalise le mal et l'écroulement des contreforts de sa vertu quand il songe à sa Véronique qui de la ruche ouverte de son corsage répandit tout un essaim d'alliciantes impudicités. Oui, l'amour écume au seul mot de partage et la jalousie est sa maison. La jalousie « conjugale », impératrice des tourments. Et pour Marchenoir, c'est le cauchemar irréfragable absolu qui le crucifie, souffrant d'imaginer la chair souillée de ce corps. Dolent ravagé de l'amour terrestre, il songe à l'apocalypse du combat pour la vie éternelle, voulant se jeter dans une vie d'extase empêchée par les bourbes de son coeur.
Marchenoir, alias Bloy à coup sûr, songe à écrire à nouveau en dépit des insuccès répétés de ses deux premiers ouvrages historiques, incompris qu'il fut de tout temps de ses contemporains. Reclus dans sa cellule de la Chartreuse, cet anachorète veille à écarter l'importunité d'une sollicitude étrangère au travail de parturition de son esprit. le thème choisi concerne le Symbolisme historique, si tant est que l'histoire, qu'il considère comme un cryptogramme échelonné sur six mille ans, signifie quelque chose, qu'elle a son architecture, se développant sur les antérieures données d'un plan infaillible, ce qui exigeait de fait l'holocauste du libre arbitre. Un défi immense digne d'un condottière.
C'est de sa cellule que Marchenoir adresse sa déclaration d'amour à Véronique, une missive très mystique dans laquelle il exprime le péril de mort qui guette son âme en raison de son amour pour celle dont le passé ne peut que ressurgir lors des étreintes physiques. Au moment de quitter la Chartreuse, Marchenoir a un riche entretien avec le père Athanase pour lui confier qu'il ignore jusqu'où l'infâme combat de la vie va l'entrainer, avec en toile de fond cette passion irrépressible pour une ancienne prostituée, lui qui est chaste depuis tant d'années et qui craint de succomber à la déchéance charnelle.
« L'acte charnel touchait-il donc à l'essence même de la femme, que la souillure en dût être ineffaçable à jamais ? »
Marchenoir, à son retour à Paris, est loin d'imaginer les dégâts que cette lettre a, contre toute attente, entrainés chez Véronique, cette âme excessive et exaltée, capable de toutes les résolutions. C'est son ami et confident Georges Leverdier chez qui il se rend dès son retour, qui l'informe de la gravité de la situation.
Assoiffée de mépris, ambitieuse d'être foulée aux pieds, Véronique a bien du mal à trouver un confesseur qui accepte de croire qu'elle a choisi une nouvelle voie. La confession ou sacrement de pénitence est pour l'auteur un négoce de rengaines apprises par coeur, un vulnéraire dont la force thérapeutique est à peu près nulle.
Il est à noter l'antisémitisme latent qui plane sur ce roman :
« Ce Monsieur Nathan était une petite putridité judaïque comme on en verra, paraît-il, jusqu'à l'abrogation de notre planète. le Moyen Âge, au moins, avait le bon sens de les cantonner dans des chenils réservés et de leur imposer une défroque spéciale qui permît à chacun de les éviter. »
Tout autant qu'un anticléricalisme forcené tout au long d'une diatribe extrêmement violente :
« Les catholiques déshonorent leur Dieu, comme jamais les Juifs et les plus fanatiques antichrétiens ne furent capables de le déshonorer…C'est l'enfantillage voltairien d'accuser ces pleutres de scélératesse. La surpassante horreur, c'est qu'ils sont médiocres. »
Tous ces mots dans la bouche de Marchenoir qui déclare à son ami Leverdier lors d'un repas avec Véronique : « Je serai Marchenoir le contempteur, le vociférateur et le désespéré, joyeux d'écumer et satisfait de déplaire, mais difficilement intimidable et broyant volontiers les doigts qui tenteraient de le bâillonner. »
S'en suit une violente diatribe à l'encontre d'une certain Beauvivier, amphitryon d'un soir , un bélître rédacteur en chef d'un journal littéraire, homme d'ascendance juive mais baptisé catholique, une philippique d'une férocité inouïe pour fustiger ce caudataire qui offre l'hospitalité nauséeuse de son journal à toute puante réclame et toute caséeuse annonce pour réprouver Marchenoir, voué par nature à l'observation des hideurs sociales, qu'il considère comme le plus sombre coryphée de la littérature contemporaine. Tout le groupe du journal est mis dans le même sac et en prend pour son grade, et en particulier un certain Denizot, un laquais du journal, un raté dans tout les compartiments de la littérature et même un raté de l'amour, ayant été cocufié à Lesbos, ce qui est un cocufiage sans espérance ! Sans oublier quelques jeunes thuriféraires en travail d'extase, qualifiés de têtards de journalistes.
Marchenoir, inséductible pamphlétaire, chevalier errant de la littérature, sans bannière et sans écu, privé du ressort de la richesse, amoureux de toutes les grandeurs conspuées, est seul contre tous, face à tous ces hauts barons patentés de la ripaille et du brigandage.
de retour auprès de Véronique qu'en toute concupiscence il convoite ardemment, dévoré par un flagellant désir, dans l'aube naissante Marchenoir s'avance lentement vers la chambre encore sombre de la pénitente dévote fanatique exaltée en prière. C'est alors une scène attingente au péché originel à laquelle on assiste.
le dernier défi de Marchenoir : publier à ses frais un pamphlet périodique jetant l'anathème sur tout ce qui suscite en lui indignation et révolte contemptrice, à commencer par la France, cette vomie de Dieu comme il dit à l'occasion de la fête du 14 juillet.
Et une fin triste et grandiose : « C'est fini, je convole maintenant aux angoisses nuptiales de ma définitive agonie. »
En bref, un livre exceptionnel, inégalable et inégalé, presque fou, qui de nos jours aurait beaucoup de mal à ne pas être censuré à mon avis, et ce pour moult raisons. L'histoire de sa rencontre avec Véronique et de cet amour impossible entre eux est finalement secondaire tant les digressions abondent sur des thèmes tels que sa conversion, son séjour à la Grande Chartreuse, l'art sacré, la pauvreté cette pauvreté dont souffre Marchenoir et qui le rend méprisable, cette pauvreté que même la religion n'a pas rendu respectable malgré l'exemple du Christ, la douleur et les tourments spirituels. Écrit dans le style prodigieux que j'ai décrit précédemment agrémenté de métaphores religieuses et scatologiques illuminant l'insulte, ce roman est absolument surprenant. Lire in extenso ce roman très mystique, Everest de la littérature, reste une épreuve assurément éprouvante, mais quel régal pour celui qui veut enrichir son vocabulaire. Léon Bloy revendiqua toujours le suprême honneur d'être incompris, ce qui peut se comprendre.
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Celui que Léon Bloy a choisi comme héros pour son roman le Désespéré est un jeune écrivain accablé par l'infortune. Marchenoir ainsi qu'il se prénomme, possède une plume redoutable que tous les journalistes de ce Paris fin de siècle (19e) craignent. Bravant les codes de la littérature à la mode de l'époque, cet insoumis ne jure que par la vérité mais à quel prix ? Quitte à braver la médiocrité des grands de ce monde, Marchenoir terrorise ses adversaires par sa plume virulente. On le méprise pour sa pauvreté mais on le craint pour son esprit. Marchenoir veut écrire l'oeuvre de sa vie. Mais la pauvreté, cette tare que même la religion n'a pas réussi à rendre respectable, est sa plus grande calamité ("Indicutablement, la Pauvreté est le plus énorme des crimes, et le seul qu'aucune circonstance ne saurait atténuer aux yeux d'un juge équitable. (...) Aussi, le genre humain ne s'y est jamais trompé, et l'infaillible instinct de tous les peuples, en n'importe quel lieu de la terre, a toujours frappé d'une identiqueréprobation les titulaires de la guenille et du ventre creux."p. 420) Contraint de mendier auprès de ces gens qu'il abhorre, Marchenoir s'abandonne à un amour impossible pour la belle Véronique. Cette femme autrefois dite La Ventouse, était une prostituée dont les armes ont anéantis plus d'une volonté. de leur rencontre par une nuit glaciale, naît une relation insensée qui transforme la belle en une dévote religieuse des plus fanatiques. Refusant tout d'abord cette idylle impossible, Marchenoir stimule à son insu chez la jeune femme, une dévotion et un sens du sacrifice frisant la folie...

S'il est un passage qui doit décrire le désespéré, le voici : "Il y a en moi un instinct de révolte si sauvage que rien n'a pu le dompter. J'ai fini par renoncer à l'expulsion de cette bête féroce et je m'arrange pour n'en être pas dévoré. Que puis-je faire de plus ? Les uns lui font la guerre, les autres lui font l'amour. Il parait que je suis très fort, comme vous le dites, puisque j'ai été honoré de la compagnie habituelle du roi des monstres : le Désespoir." p.177.

Publié en 1886, ce premier roman de Léon Bloy est plus un prétexte pour le célèbre pamphlétaire de critiquer la société, que d'écrire un roman autobiographique mais on y retrouve tout de même des éléments de sa biographie mêlés à des pensées. le récit est entrecoupé de passages incendiaires sur différents sujets. Tout le monde en prend pour son grade et l'homme ne mâche pas ses mots. Brûlant par-ci, lapidant par là, Léon Bloy, réputé pour sa virulence, n'en finit pas d'assassiner ses contemporains. A bas les Victor Hugo, les Baudelaires et autres Mallarmé ! Cette poésie qu'il juge mièvre n'est pas digne que l'on s'y noie avec mélancolie. Seuls Barbey d'Aurevilly et Villiers d'Adam gardent grâce à ses yeux. A bas les religieux et leur foi ! Seule compte la Foi Absolue, celle qui appartient aux vrais chrétiens. Tombant parfois dans le mysticisme, l'homme clame son dégoût de cette société où tout n'est que "boue". Il lacère, il éviscère les hommes de son temps, les met à nu, les écorche verbalement. Rien n'échappe à sa plume meurtrière. Et quelle plume ! Si l'homme a tendance à digresser, sa faconde éblouit et parfois épuise par sa grandiloquence. le roman abonde de métaphores religieuses et scatologiques parfois difficile à saisir, mais si l'on parvient à passer le cap, alors quelle expérience ! Pour preuve, voici comment l'auteur envisage le "hasard" : "A ses yeux, le mot Hasard était un intolérable blasphème qu'il s'étonnait toujours, malgré l'expérience de son mépris, de rencontrer dans les bouches soit-disant chrétiennes (...). Alors moi, catholique, je lui crache à la figure, à ce rival de mon Christ (...)." p.164. A travers les mots de Marchenoir, voici encore comment il se décrit : "Si je profane les puants ciboires qui sont les vases sacrés de la religion démocratique, je dois bien compter qu'on me les retournera sur ma tête, et les rares esprits qui se réjouiront de mon audace ne s'armeront, assurément pas, pour me défendre. Je combattrai seul, et je succomberai seul, et ma belle sainte priera pour le repos de mon âme, voilà tout... Peut-être aussi, ne succomberais-je pas. Les téméraires ont été, quelques fois, les victorieux." p.181. L'écriture de Bloy est si volubile et imagée que la lecture de ce roman peut s'avérer éprouvante mais c'est toujours enrichissant que de se frotter à de tels esprits. Et bien que le Désespéré de Bloy dérange, énerve, fatigue, tourmente, il suscite malgré tout la curiosité...
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Si vous êtes désespéré, ou si votre désespoir vous semble sans remède, le Désespéré de Léon Bloy n'est pas pour vous, ou pas encore, il vous faut peut être pour gravir ce monument de la littérature si peu connu, des vertus que l'on enseigne chez les Chartreux ou dans certaines écoles d'alpinisme, où même si l'on ne voit pas le but ultime on grimpe, faisant une confiance évangélique à celui qui vous dit c'est par ici le chemin le plus pur ...

Ce texte n'est pas d'un érudit, pour un autre érudit, c'est le texte d' un affamé des mots, des mots désuets, animaliers, scientifiques ou académiques... des textes aux exubérances exponentielles, au style Desprogien évidemment moderne, ainsi "Tout est avachi, pollué, diffamé, mutilé, irréparablement destitué et fricassé, de ce qui faisait tabernacle sur l'intelligence. La surdité des riches et la faim du pauvre, voilà les seuls trésors qui n'aient pas été dilapidés".
 
Lecteur friand de cette prose barbelée, rutilante, et à l'ironie jubilatoire vous aurez alors la patience de vous arrêter pour relire tel passage qu'on imagine tiré d'un poème en prose et posé là par erreur, "Il y avait surtout les yeux, des yeux immenses, illimités, dont personne n'avait jamais pu faire le tour. Bleus, sans doute, comme il convenait, mais d'un bleu occulte, extra-terrestre, que la convoitise, au télescope d'écailles, avait absurdement réputés gris clair. Or, c'était toute une palette de ciels inconnus " .

L'oeuvre le Désespéré est celui d'un Pamphlétaire rare ou très rare, de ceux qui s'exposent à nu, qui catapultent l'insulte. Livre sans doute inimaginable de nos jours surtout pointant les religions, il est de fait d'une pâte unique dans notre littérature à ce point de concentration de verve et de violence que l'on retrouve chez Louis-Ferdinand Céline.

Bloy revendique "le suprême honneur d'être incompris",dans ce roman de la folie faisant de son héros Caïn Marchenoir une façon d'insensé rêvant d'amour et d'impossibles justices.
C'est une déchirante autobiographie, qui ressuscite tout un passé douloureux, dont l'écriture permet d'exorciser les fantômes.

Dans la 3ème et 4ème partie c'est la république des lettres et ses gardiens qu'il va défier les affublant de nom plus ou moins imagés ou dégradants;Alcide Lerat, Hilaire Dupoignet...
Or derrière ses cibles on retrouve Guy de Maupassantou Alphonse Daudet parmi les plus connus d'entre eux.
A l'inverse des auteurs comme Jules Barbey d'Aurevilly ou lautréamont, dont les textes poétiques de ce dernier sont largement commentés, sont cités et reconnus comme des auteurs de premier rang pour la qualité de leur écriture et pour leur droiture.
Le Désespéré est un texte qui saisit par son urgence, alors même qu'au contraire il n'hésite pas, des pages durant, à dresser le portrait plus que cruel, ordurier, de nombre des gloires lettrées de l'époque, tout comme il n'hésite pas, et cela plus d'une fois, à exposer par le menu les conceptions de Marchenoir, donc celles de Léon Bloy, sur L Histoire et son symbolisme universel.

Enfin le sens profond du Désespéré tient dans cette réflexion redécouverte pendant son séjour dans le couvent des Chartreux
"payer pour tout un peuple insolvable que pressait l'aiguillon du châtiment, en accomplissement de cette loi transcendante de l'équilibre surnaturel, qui condamne les innocents à acquitter la rançon des coupables".

En ce sens ce livre est un livre d'un profond mysticisme, qui s'exprime et imprègne toutes ses relations avec ses quelques amis et donne à ses relations amoureuses une dimension spirituelle et une soif d'absolu.
Le cheminement de Léon Bloy entre la ligne de crête et le précipice, rend ce livre proche d'un Dostoïevski ou plus trad d'un Bernanos ou mieux Kierkegard.

Comme dans ces livres à tiroirs il est difficile de résumer ce cri de révolte, il est contre tous et même parfois contre Dieu lui-même, celui qui s'est affirmé comme un converti.
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Elle est défunte à présent, hélas ! puisque rejetée du si pacifiant et bêtifiant lecteur qui l'a bannie, cette littérature de la truculence où la verve artiste rencontra la fulmination ! Comme dorénavant le cumul des sous au tableau des ventes suffit à attester la gloire et puisque le succès public se confond exactement avec la valeur critique, on n'a d'égard que pour la réussite et on méprise le génie, qu'on suppose une antique ampoule élitiste !
Or, agonir d'insurrection contre la médiocrité qui fait la fortune d'idiots et le bonheur des foules ne peut être logiquement que l'entreprise acharnée d'un individu ayant, malgré un talent qu'il sait indéniable, manqué à se faire reconnaître parmi les meilleurs de son temps : on devine sa frustration à voir parvenus avant lui tant d'ineptes partisans du consensuel qui, de vanité ou d'humilité, se pavanent d'importance, et le simple se figurera toujours alors que la frustration est mauvaise conseillère, confinant à la rancune qu'il croit par définition pousser à l'injustice. C'est qu'il ignore, l'imbécile, qu'en art le mérite n'est plus couronné chez nous depuis longtemps, lui qui se contente à peu près – et qui l'avouerait lui-même – du premier livre venu dans son genre de prédilection.
Pourtant, je l'assure, on peut hurler saintement. Il y a des cris hauts de répurgateurs jusque dans l'élan de certains glaives.
La fureur de l'innocente victime a des éclairs de vérité réjouissants pour celui qui ne se contente pas de trier automatiquement les « bons » et les « méchants » affects. Il arrive qu'un éreintement soit légitime, y compris quand il se mêle de bile si la situation qu'il dénonce est elle-même nauséeuse et pestilente. Ou bien il faudrait seulement des insurrections policées, avec demande de rendez-vous et prières réitérées. Pas sûr qu'un scandale puisse naître d'une poignée de mains ou d'une formule de politesse, sans parler d'une révolution lorsque c'est tout un système qui est en cause. Critiquer poliment, c'est améliorer ; injurier avec intransigeance, c'est améliorer instamment. Il y a de l'engagement personnel à éructer, il y faut de l'individu qui se collette : celui qui chante son adorable élégie peut bien rester perché, c'est un être charmant qui n'est entendu que des délicates créatures immobiles à l'ombre de son arbre.
Léon Bloy fut, je crois, un de ces vomisseurs divins. Les parias de talent sont toujours des monstres radieux.
Le Désespéré est le récit largement autobiographique de son double, Marie-Joseph-Caïn Marchenoir, un écrivain chrétien radical et pamphlétaire qui abomine de son époque tous l'art de pacotille et les artistes clinquants et ridicules qui l'ont conspué et réduit à la misère. L'auteur y retrace avec une haine délectable les épisodes d'extrême dénuement, sa réclusion à la Grande-Chartreuse, son mystique amour avec une ancienne prostituée devenue hallucinée de Dieu, ainsi que ses tentatives dérisoires pour publier les ors ténébreux de son style et de son esprit dans un monde de journalistes abjects et puants. D'une absoluité sans compromis, il arpente un monde nauséabond de vicieux profiteurs dont il réussit à faire jaillir sur lui l'unanime haine, incapable des moindres mondanités qui suffiraient à le faire bien recevoir.
Bloy dissimule à peine les noms : tous les grands acteurs littéraires de son temps sont éclaboussés d'infamies ou de calomnies. C'est un défoulement ricanatoire qui, dans sa manière désenchantée et scandaleuse, annihilant presque les contraintes d'une intrigue et diluant le récit dans des vociférations, incombe particulièrement à ce genre fin-de-siècle qui brise les tabous et pousse très haut les rires destructeurs. On croit voir s'écouler continûment une pluie poisseuse sur un Paris d'êtres humanoïdes et infirmes auxquels l'humanité manque par nature. Un suint purulent sape d'emblée toute ambition généreuse, et il n'y a qu'à dépeindre méticuleusement la sanie ambiante que sécrète une société enferrée de vacuité en attendant le retour du Sauveur qui viendra à la parfin tout assainir.
Il est des conversions religieuses qui sont des désirs d'en finir. Bloy ne supporte plus la lénifiante tolérance des préceptes catholiques d'alors qu'il estime une trahison de l'Esprit saint dont il croit ne rencontrer la pureté qu'aux fermes rudesses du Moyen-Âge. Sa foi ne va pas dans la rose des luxes et des oraisons bourgeois ; il n'accommode rien, n'a pas le sens du compromis. Il prétend que le Jésus qu'on vénère ferait honte à Dieu Lui-même : que l'homme contemporain a fait le Christ à son odieuse image, à cause des mensonges des prêtres indulgents et plaisants et de la naïveté opportune des croyants que les premiers pardonnent et absolvent à leur honte.
Désespérer en l'homme, comme probablement le fit Huysmans, fut parfois le chemin de la foi chrétienne : de la solitude de l'artiste ignoré du monde à celle du cénobite oublié du siècle, il n'y a qu'un pas : on quitte la misère d'un logis pour gagner la froideur spartiate d'une cellule. La mentalité déjà ciselée et argutieuse, longtemps sertie d'une complexe exégèse, le spagyrique ésotérisme du chercheur es arts, n'a besoin de s'accroître que du mystère de l'Incarnation qui est en comparaison une idée toute simple et dont l'assomption est alors de peu de conséquence : c'est environ une métaphore supplémentaire qui vaut une belle page de littérature. La parousie, au surplus, achève joliment la ferveur en concrétude : la désolation dégoûtée va quelque part et se rehausse d'un fantasme ou d'un rêve. On cherche en vain un soutien tangible, alors on élit un témoin idéal, une autorité et un vengeur. le christianisme ainsi est quelquefois la doctrine refuge d'un inconsolable exilé contempteur des hommes.
Méchant, diabolique, délibérément cruel, ce livre de tous les éreintements épouvantables et orduriers composé dans un style magnifiquement sophistiqué et byzantin : une incrustation d'argent sur un pot en merde cuite, un damasquinage au scalpel sur un corps de cadavre, une orfèvrerie d'injures rares pour d'inattentives oreilles de pourceaux. le mélange apparemment antinomique de l'exécration outrageuse et de la diaphane volonté de redresser la déchéance – non sans antisémitisme forcené. Une fleur du mal, orchidée de l'excrément – sorte de scatologie eschatologique –, et qui force le lecteur à un brillant effort, mais nullement par goût des impatiences et des chinoiseries (rien n'y est volontiers obscur ou alambiqué, ce n'est pas un roman fait pour dissuader ou pédant), mais pour atteindre à l'exactitude du trait et à l'unicité de la peinture, caractéristiques essentielles de toute littérature – on ne lit pas Bloy comme on avale, il y faut du courage et du soin, un peu d'étude en somme, du mérite. On accède à quelque chose d'individuel, à un parachèvement, à un ouvrage. On peut évidemment ne pas adhérer, on ne saurait avec expertise et honnêteté dénigrer la superbe de la forme.
Pour le fond narratif, soit : il n'y a presque rien. Mais aussi, c'est si tristement banal en littérature ! Reste qu'on a toujours accédé à quelque idéal d'artiste, ce qui ne se distingue plus nulle part. Un très beau vide vaut mieux qu'un vide médiocre : on voit au moins quelque rayon pur que nul objet contrefait ne vient gâcher ; c'est – qui sait ? – peut-être le prodrome d'une merveille si la lumière quintessenciée tombe bientôt sur un motif nouveau et valeureux. Un être derrière une encre noire est préférable à une histoire devant personne. En l'occurrence, le livre est l'assemblage d'un roman en quelque sorte naturaliste – carrière, amours et piété indigentes –, d'une monographie passionnée (guère passionnante pour moi) sur la Grande-Chartreuse, de nombreux portraits défoulés des plus célèbres acteurs littéraires d'une époque, et d'articles enflammés (recyclés de journaux divers) par exemple sur la religion et sur le Riche : tout cela ne tient ensemble que par l'éloquence d'un auteur.
On discerne un caractère de grand bretteur en sous-nombre qui, pourtant défait d'avance, ne se résout pas à la plainte. Des assauts sans cesse pour dissimuler sous les suées les larmes de dépit légitime : une victime qui ne consent pas à crever sans bruyants et féroces anathèmes sous l'élégant talon dont on l'écrase. Si Victor Hugo c'est de la grandiloquence qui a réussi, Léon Bloy est un échec qui a poussé à la grandiloquence. Hugo se hausse et se rengorge parce qu'il a gagné, Bloy se dresse et plastronne parce qu'on le veut perdant. Mais à quoi tient le succès ? Hugo flatte et Bloy fustige, voilà : la différence, c'est la vérité de la peinture, sa fidélité par rapport à l'original ; des allégories ou des contemporains. Présentez un seul homme en deux circonstances de fortune : comme le premier est un triomphe populaire, il se plaît à rendre à la foule qu'il juge d'un goût merveilleux cet amour dont il est acclamé ; comme le second est un échec patent, il se satisfait à haïr ces badauds qu'il estime de déplorables amateurs. C'est le même homme, vous dis-je, exactement le même homme : le premier est bientôt riche et peut écrire beaucoup tandis que le second crève de faim et doit accomplir trois emplois pour acheter son papier. Qui a raison ? C'est pourtant aussi le même public qui permet à l'un de se dégager en héros et à l'autre de sombrer dans le dégoût ; seulement, selon qu'on flatte cette somme ou bien qu'on la corrige…
J'ai ma réponse. Discerner mal, faire d'un même homme une icône ou un gredin, c'est ne pas discerner : entiers hasards dont se satisfont quand même les caudataires et thuriféraires des nouveaux dieux : ne voit-on pas, après l'office, comme les rejetés se révoltent et bavent ! Ce n'est certes pas un Hugo, croit-on, qui aurait ainsi indigné son langage dans l'égout de la rancune !
Qui sait ? peut-être Hugo aurait-il écrit bien pire encore : il ne doit sa posture supérieure de représentant du peuple qu'à l'encouragement qu'il reçut à ses débuts ; il bénéficia en tous cas d'un bon lançage dont Bloy ne put se prévaloir, et ses ambitions initiales étaient aussi mille fois plus impérieuses, de sorte qu'un échec lui eût peut-être été d'une violence inouïe. Ce n'est pas pour médire Hugo, mais pour relativiser la fondation et la représentation des idoles en un cas où le talent fut à peu près égal. Cette observation, je crois, d'une nature psychologique autant que sociale, focalise sur notre inaptitude collective à récompenser l'art et le mérite : je pense que ce vice rencontra à la fin du XIXe siècle un sommet d'ingratitude qui produisit cette tonalité littéraire si particulière qu'on doit à une société dont le paradoxe consiste en l'extrême raffinement de ses artistes confronté à l'indifférence générale des citoyens devenus sans souci et inconséquents. L'apogée d'un harassant effort individuel rencontrant la bêtise du troupeau satisfait, le tout avalisé par un système politique peu concerné de justice et de grandeur et qui offre au capital toute la place pour couronner des vendeurs, c'est l'avant-scène où tout se réalise aujourd'hui en un immense relâchement des exigences artistiques : j'en reparlerai bientôt, je crois, pour montrer généalogiquement comment et pourquoi notre littérature a manifestement déchu depuis ce temps au point qu'un bon écrivain d'aujourd'hui ne vaut sans doute pas un mauvais journaliste d'il y a cent cinquante ans. Mais la clé d'ores et déjà est à chercher à la fois dans l'extrême contention d'un style qu'on ne sut plus tout à coup comment dépasser, et dans le renoncement à vouloir gagner les lauriers par le mérite tandis qu'on apprit à les obtenir par d'autres moyens, le travail ne servant pas de grand-chose en un milieu uniquement de réclame, de pistons et de suaves complaisances populaires.
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Un roman à l'intrigue simple et convenue : un pauvre écrivain catholique tombe amoureux d'une prostituée qui se convertie avec fureur. D'un point de vue romanesque, ce livre, dans lequel Bloy raconte un épisode de sa jeunesse, est mauvais. Si l'on ne s'intéresse pas à Léon Bloy en tant qu'homme, il est difficile de ressentir de l'empathie pour ces personnages monocordes ou de se passionner pour une histoire aussi bateau, quand elle n'est pas inexistante. Mais Bloy n'était pas vraiment un romancier, on sent bien que raconter des histoires n'était pas ce qu'il préférait. Par contre, c'était un grand polémiste. Et dans ce sens, « le désespéré » est un magnifique morceau de colère. le roman n'est ici qu'un prétexte pour exposer ses idées.
Bloy, en tant qu'écrivain catholique un brin traditionnaliste, était un adversaire enragé de la bonne bourgeoisie, du républicanisme anti-spirituel, de la mollesse démocratique et pour tout dire, de la Médiocrité. Rien ne le révolte plus que les valeurs républicaines ; pour lui, affirmer que tout est égal, revient à dire que rien n'a d'importance. Il regrette farouchement les époques héroïques, et il a une vision pyramidale de la société qui lui fait détester l'époque moyenne dans laquelle il vit. Ce qui ne le rejette pas non plus aveuglément dans les bras de la religion. Il a des mots très durs contre le catholicisme de son temps. Un catholicisme qu'il juge lui-même, en grande partie, embourgeoisé, mou et sentimentaliste. Les pauvres, les très pauvres, ceux qui ne peuvent plus rien espérer, voilà ceux que Bloy ne veut pas oublier, la foi en l'au-delà est leur seul espoir. Détruire l'Eglise, c'est les mépriser encore plus.
En ce qui concerne la littérature et le journalisme, c'est la même chose. Caïn Marchenoir, le principal protagoniste de ce livre, se situe dans la lignée qui va de Baudelaire à Verlaine, c'est-à-dire ces écrivains sans concessions de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, parfois morts dans la pauvreté, et qu'un désespoir tout particulier, très différent de la mélancolie romantique, semble avoir touché. D'ailleurs, c'est dans « le désespéré » qu'il est fait mention pour la première fois des Chants de Maldoror. Et le comte de Lautréamont, son livre sidérant et son destin tragique ont dû fortement stimuler l'imagination de Bloy. A côté de ça, quoi ? le cirque littéraire dont aujourd'hui nous sommes tristement habitués, avec son lot de journalistes pusillanimes, de critiques intéressés, et d'écrivains médiocres.
Bloy règle ses comptes et il ne fait pas dans la demi-mesure, il y va avec ses gros sabots et il les met dans le plat. Son écriture est enflammée, pleine de panache, il a un vocabulaire extrêmement recherché qui lui permet de faire de fameuses descriptions. Bien sûr, ses excès colériques peuvent agacer, tout comme cet amoncellement d'adjectifs précieux. On aime ou on n'aime pas, mais cette écriture est originale, argumentée et même, peut-être, justifiée. Quoi qu'il en soit, dans ce genre moribond qu'est la polémique, Léon Bloy est un maître.
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critiques presse (1)
Bibliobs
15 juillet 2013
Léon Bloy, saint-patron des écrivains casse-bonbon, démontre son génie dans ce roman autobiographique qui tord la langue française dans tous les sens. Il ne nous épargne rien de sa malédiction. Son ressentiment est noir comme le précieux diamant carbonado.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (85) Voir plus Ajouter une citation
Manger de l’argent ! Qui donc a remarqué l’énormité symbolique de cette locution familière ? L’argent ne représente-t-il pas la vie des pauvres qui meurent de n’en pas avoir ? La parole humaine est plus profonde qu’on ne l’imagine. Ce mot est étrangement suggestif de l’idée d’anthropophagie, et il n’est pas tout à fait impossible, en suivant cette contingente idée, de se représenter un lieu de plaisir, comme un étal de boucherie ou un restaurant-bouillon, où se débiterait, par portions, la chair succulente des gueux. Les gourmets, par exemple, choisiraient dans la culotte, et les ménagères économes utiliseraient jusqu’aux abatis, tandis que des viveurs délabrés d’une noce récente, se contenteraient d’un modeste consommé de leurs frères déshérités. On est étonné du tangible corps que prend un tel rêve, quand on interroge ce propos banal.

Tout riche qui ne se considère pas comme l’intendant et le domestique du Pauvre, est le plus infâme des voleurs et le plus lâche des fratricides. Tel est l’esprit du christianisme et la lettre même de l’Évangile. Évidence naturelle qui peut, à la rigueur, se passer de la sanction du surnaturel chrétien.

C’est heureux pour les détrousseurs et les assassins, que l’animal soi-disant pensant soit si réfractaire au syllogisme parfait ! Il y a diablement longtemps qu’il aurait conclu à l’étripement et à la grillade, car la pestilence, bien sentie, du mauvais riche, n’est pas humainement supportable ! Mais la conclusion viendra, tout de même, et probablement bientôt, — étant annoncée de tous côtés par d’indéniables prodromes…

Les riches comprendront trop tard, que l’argent dont ils étaient les usufruitiers pleins d’orgueil, ne leur appartenait absolument pas ; que c’est une horreur à faire crier les montagnes, de voir une chienne de femme, à la vulve inféconde, porter sur sa tête le pain de deux cent familles d’ouvriers, attirés par des journalistes et des tripotiers dans le guet-apens d’une grève ; ou de songer qu’il y a quelque part un noble artiste qui meurt de faim, à la même heure qu’un banqueroutier crève d’indigestion !…

Ils se tordront de terreur, les Richards-cœurs-de-porcs et leurs impitoyables femelles, ils beugleront en ouvrant des gueules, où le sang des misérables apparaîtra en caillots pourris ! Ils oublieront, d’un inexprimable oubli, la tenue décente et les airs charmants des salons, quand on les déshabillera de leur chair et qu’on leur brûlera la tête avec des charbons ardents, — et il n’y aura plus l’ombre d’un chroniqueur nauséeux, pour en informer un public de bourgeois en capilotade ! Car il faut, indispensablement, que cela finisse, toute cette ordure de l’avarice et de l’égoïsme humains ! (pp. 415-416)
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Le christianisme, qui n'avait su ni vaincre ni mourir, fit alors comme tous les conquis. Il reçut la loi et paya l'impôt. Pour subsister, il se fit agréable, huileux et tiède. Silencieusement, il se coula par le trou des serrures, s'infiltra dans les boiseries, obtint d'être utilisé comme essence onctueuse pour donner du jeu aux institutions et devint ainsi un condiment subalterne, que tout cuisinier politique put employer ou rejeter à sa convenance. On eut le spectacle, inattendu et délicieux, d'un christianisme converti à l'idolâtrie païenne, esclave respectueux des conculcateurs du Pauvre, et souriant acolyte des phallophores.
Miraculeusement édulcoré, l'acsétisme ancien s'assimila tous les sucres et tous les onguents pour se faire pardonner de ne pas être précisément la volupté, et devint, dans une religion de tolérance, cette chose plausible qu'on pourrait nommer le catinisme de la piété.
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L'Orgueil et sa bâtarde, la Colère, se laissent brouter par leurs flatteurs ; la pacifique Envie lèche l'intérieur des pieds puants de l'Avarice, qui trouve cela très bon et qui lui donne des bénédictions hypothéquées avec la manière de s'en servir ; l'Ivrognerie est un Sphinx toujours pénétré, qui s'en console en allant se soûler avec ses Œdipes ; la Luxure, au ventre de miel et aux entrailles d'airain, danse, la tête en bas, devant les Hérodes, pour qu'on lui serve les décapités dont elle a besoin, et la Paresse, enfin, qui lui sort du vagin comme une filandre, s'enroule avec une indifférence visqueuse à tous les pilastres de la vieille cité humaine.
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Au fait, que diable voulez-vous que puisse rêver, aujourd'hui, un adolescent que les disciplines modernes exaspèrent et que l'abjection commerciale fait vomir ? Les croisades ne sont plus, ni les nobles aventures lointaines d'aucune sorte. Le globe entier est devenu raisonnable et on est assuré de rencontrer un excrément anglais à toutes les intersections de l'infini. Il ne reste plus que l'Art. Un art proscrit, il est vrai, méprisé, subalternisé, famélique, fugitif, guenilleux et catacombal. Mais, quand même, c'est l'unique refuge pour quelques âmes altissimes condamnées à traîner leur souffrante carcasse dans les charogneux carrefours du monde.
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Je regarde l'état de comédien comme la honte des hontes. J'ai là-dessus les idées les plus centenaires et les plus absolues. La vocation du théâtre est, à mes yeux, la plus basse des misères de ce monde abject et la sodomie passive est, je crois, un peu moins infâme. Le bardache, même vénal, est, du moins, forcé de restreindre, chaque fois, son stupre à la cohabitation d'un seul et peut garder encore - au fond de son ignominie effroyable, - la liberté d'un certain choix. Le comédien s'abandonne, sans choix, à la multitude, et son industrie n'est pas moins ignoble, puisque c'est son corps qui est l'instrument du plaisir donné par son art.
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Videos de Léon Bloy (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Léon Bloy
http://le-semaphore.blogspot.fr/2015/.... Le 29 novembre 2015 - pour l'émission “Les Racines du ciel” (diffusée tous les dimanches sur France Culture) -, Leili Anvar s'entretenait avec François Angelier, producteur de “Mauvais genres” à France Culture, chroniqueur au Monde, auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels on peut citer le “Dictionnaire Jules Verne” (Pygmalion, 2006) et le “Dictionnaire des voyageurs et explorateurs occidentaux” (Pygmalion, 2011). Il vient de publier “Bloy ou la fureur du juste” (Points, 2015), essai dans lequel il revient sur la trajectoire de Léon Bloy, qui ne cessa, entre la défaite de 1870 et la Première Guerre mondiale, de clamer la gloire du Christ pauvre et de harceler sans trêve la médiocrité convenue de la société bourgeoise, ses élites et sa culture. Catholique absolu, disciple de Barbey d'Aurevilly, frère spirituel d'Hello et de Huysmans, dévot de la Notre-Dame en larmes apparue à La Salette, hanté par la Fin des temps et l'avènement de l'Esprit saint, Léon Bloy, écrivain et pamphlétaire, théologien de l'histoire, fut un paria des Lettres, un « mystique de la douleur » et le plus furieux invocateur de la justice au coeur d'une époque dont il dénonça la misère sociale, l'hypocrisie bien-pensante et l'antisémitisme. Bloy ou le feu roulant de la charité, une voix plus que présente - nécessaire. Photographie : François Angelier - Photo : C. Abramowitz / Radio France. François Angelier est aussi l'auteur de l'essai intitulé “Léon devant les canons” qui introduit “Dans les ténèbres”, livre écrit par Léon Bloy au soir de sa vie et réédité par Jérôme Millon éditeur.
Invité : François Angelier, producteur de l’émission « Mauvais Genres » à France Culture, spécialiste de littérature populaire
Thèmes : Idées| Religion| Leili Anvar| Catholicisme| Mystique| Douleur| Littérature| François Angelier| Léon Bloy
Source : France Culture
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