♫ Douce France. Cher pays de notre enfance. Bercé de tendres insouciances. ♫
Et, en effet, que nous sommes bercés de tendres insouciances concernant notre chère Ve République qui ne veut pas mourir. Elle dure, elle dure, sans jamais s'arranger, et cela ne date pas d'hier que le pouvoir politique républicain de nos représentants phagocyte le pouvoir de ceux qu'ils sont censés représentés.
Ce que Benoît Collombat et Étienne Davodeau tentent de faire revivre, ce sont les « années de plomb » de cette Ve République, c'est-à-dire les conséquences majeures de la reconstruction du pays après la Deuxième Guerre mondiale, notamment autour du gaullisme et de ses avatars.
Alors que peuvent nous proposer comme livre-objet un auteur de BD habitué aux reportages dessinés (déjà avec
Les ignorants, ou bien Rural !) et un grand reporter habitué au journalisme d'investigation, notamment sur France Inter ? Forcément, ils s'associent sur ce qu'ils connaissent le mieux : fouiller les secrets de notre société actuelle et ce roman graphique paru chez Futuropolis nous démontre alors que notre Ve République est bien mal famée, voire pourrie jusqu'à la moelle. Tout cela s'organise en deux enquêtes successives, mais finalement très liées. D'abord, les deux auteurs retracent l'assassinat du juge Renaud, puis s'attaquent à celui de
Robert Boulin ; mais, en fait, ils sillonnent la Ve République depuis ses tout débuts jusqu'à, théoriquement, 1982, année où le SAC (Service d'Action Civique), la milice gaullistte a été dissoute après un massacre de trop. Je dis « théoriquement », car finalement, à force de fouiller, de croiser les informations, de confronter les acteurs, il apparaît bien vite que cette enquête concerne des braquages de banque pour financer des campagnes électorales, des exactions du SAC qui sont restées impunies, voire inconnues, ainsi que bon nombre d'assassinats politiques ; or, tout cela peut facilement être remonté jusqu'à certains de nos hommes politiques actuels qui, bien vieux, ont connu cette période ou bien, bien plus jeunes, ont hérité de ce système à l'origine de la réussite gaulliste. Malgré tout, Benoît Collombat et Étienne Davodeau ne tombent jamais dans le piège du complotisme, puisqu'ils mènent leur enquête de façon rationnelle et méthodique. Et c'est bien là que notre effarement devant tant de magouilles sanglantes s'exprime.
Bien sûr, pour l'aspect graphique, nous retrouvons le dessin habituel d'Étienne Davodeau, sobre et débonnaire, mais pas non plus dans sa version la plus précise et détaillée.
Cher pays de notre enfance est donc un roman graphique ironisant sur la quête de vérité de notre Ve République : cherche-t-on toujours à savoir le fond du problème ? Non, malheureusement, et nous en paierons encore le prix, assurément.