J'ai passé de nombreuses semaines avec ce recueil d'
Osamu Dazai. Mauvais signe ? Pas du tout ! Ici, c'était bien pour prendre le temps de déguster chacun des textes. Je ne reviendrai pas sur le contenu de chacun d'entre eux, tellement je me suis évertué à mettre en ligne de multiples citations. En fait, je n'en avais jamais mis autant tirées d'une même oeuvre. Sans être forcément toutes de pures perles littéraires, elles ont le mérite de dévoiler et reconstituer tel un puzzle la personnalité et le destin de cet écrivain finalement assez peu connu en France, et pourtant aujourd'hui très cher au coeur des japonais.
En effet, à travers ces récits,
Dazai nous livre tout simplement ses mémoires : une rencontre, un moment dans sa vie, un état d'esprit, lui offrent autant de prétextes à se raconter. Pour saisir d'un trait sa vie particulièrement agitée et tragique, le récit « Huit tableaux de Tôkyô » est sans doute le plus éloquent et complet. Pour faire court, celui qui est né Shûji Tsushima, au sein d'une famille bourgeoise à la nombreuse fratrie, s'est très vite inscrit en rebelle contre son milieu, y compris politiquement, étant attiré par les idées communistes. Il rêve d'une carrière littéraire sans totalement s'en donner les moyens, faute de persévérance et surtout en raison d'un caractère fantasque, mêlant un fort égocentrisme et un manque de confiance en lui chronique. Amoureux des drogues, et de la bouteille, où il engloutit le peu d'argent qu'il gagne, il vit trop souvent grâce à l'aide financière d'un de ses frères. Il en profite, mais très endetté, il se sent coupable et bon à rien. Pourtant, il possède bien un talent littéraire naturel, qu'il gâche trop souvent. Il est obligé de bouger au moment de la guerre, deux habitations successives ayant été détruites par les bombardements. D'abord marié à une ancienne prostituée, il est trompé plusieurs fois, et finit par se séparer de cette femme qui finalement aura sans doute le plus marqué sa vie sentimentale. Il se remariera…Et après deux tentatives de suicide infructueuses plus tôt dans sa vie, il finira à la quarantaine par y parvenir, accompagné d'une jeune maîtresse. Car entre ses fréquents moments de dépression, le bougre est aussi un cabotin qui aime séduire. Une personnalité à la fois autocentrée et masochiste, qui se révèle au fil des pages à la fois agaçante et finalement très attachante, car lucide, mais un poil naïf avec les femmes, et non dénué d'humour et d'auto-dérision. Un adolescent ! Sa mort prématurée laisse à son oeuvre un goût d'inachevé et des regrets. Elle est riche de nombreuses nouvelles, mais force est de constater que ses deux romans phares,
La déchéance d'un homme et
Soleil couchant, ont été écrits dans les toutes dernières années de sa vie…alors même que, dans l'intuition qu'il ne vivrait pas vieux (il pense très souvent au suicide), il intitulera précisément son premier recueil de nouvelles bien structuré, publié en 1936, «
Mes dernières années ».
Cent vues du Mont Fuji est une oeuvre clé pour comprendre le parcours de vie de cet étonnant artiste.
Un mot sur le style, qui selon moi est la marque d'un écrivain populaire qui ne sacrifie pas la qualité : à une dominante faite de simplicité, qui flirte parfois avec la platitude, se mêlent de nombreux passages de très haute tenue littéraire. La traduction influant évidemment sur l'impression laissée au lecteur français, il est difficile de dire si cette apparence d'une certaine inconstance en est le résultat où si c'est une caractéristique de la version nippone. C'est probablement le cas, ce qui traduirait l'instabilité de l'auteur dans sa personnalité même.
Un écrivain à découvrir sans faute en ce qu'il s'inscrit parmi les géants de la littérature japonaise du XXème siècle, et parce qu'il est une icône pour une partie de la jeune génération de Japonais.