Pourquoi ce titre «
Trois chevaux » ?
C'est la formule qu'utilise un aubergiste rencontré aux Malouines par le héros :
« Une vie d'homme dure autant que celle de
trois chevaux et tu as déjà enterré le premier. »
J'avais lu jusqu'ici avec beaucoup de plaisir plusieurs livres d'Erri de Luca, mais celui-ci m'a tout particulièrement touché ! C'est comme un long poème en prose, un poème d'amour, avec sa narration où le passé et le présent s'entremêlent de façon permanente.
Je ne voulais pas le lire trop vite, je voulais m'imprégner des saveurs, des odeurs du Sud, qu'il évoquait… (J'ai relu plusieurs phrases 2 à 3 fois pour davantage en apprécier la beauté poétique).
La nature, le vent, la mer, sont très présents. Ils apportent un souffle de liberté au narrateur qui en a bien besoin…
L'Argentine, ce pays qui est toujours dans les pensées du héros, de façon obsessionnelle…
Car il a été marqué de façon indélébile par les graves événements qui s'y sont déroulés :
« Je parle des garçons qu'on envoyait là-haut pour tomber dans des crevasses et sous des balles, pour rouler en bas sous l'effet de souffle d'une bombe, ayant vécu pour offrir des yeux aux corbeaux ».
Il est comme sur le qui-vive, comme un animal traqué, prêt à bondir, à fuir !
Obligé d'être méfiant à l'égard des gens qu'il ne connaît pas…
Ce héros, il a la cinquantaine, c'est un émigré italien, il est jardinier, mais pas n'importe quel jardinier !
C'est un homme qui a un profond rapport à la nature. C'est un passionné de lecture aussi.
Un homme qui a beaucoup souffert dans la vie, qui sait être généreux envers les plus démunis…
Il fait la connaissance d'une femme (de 20 ans plus jeune que lui), Laila, dont il tombe amoureux.
Quand il se confie à elle, il a déjà épuisé la vie d'un cheval…
Lorsqu'il était jeune, il a suivi en Argentine, Dvora, une femme qu'il aimait éperdument.
Mais ils se sont aimés pendant la dictature militaire de la fin des années 1970, et Dvora a été tuée et repose « au fond de la mer, jetée au large du haut d'un hélicoptère, les mains attachées. A vécu pour moi, est morte pour offrir des yeux aux poissons. »
Lui, se tenait à l'écart des événements, et a d'abord été épargné grâce à son passeport italien.
Il a rejoint la clandestinité, il a été pourchassé, a pris la fuite, a dû se cacher, a connu la peur, avant que la guerre des Malouines, en 1982, ne mette fin à la dictature et ne lui permette de revenir en Europe.
Il reprendra une vie, mais pas tout à fait une vie normale…
Au contact de Laila, il va épuiser sa deuxième vie.
Laila, elle aussi, connaît la souffrance et la peur. Après avoir été dentiste, elle vit à présent de ses charmes, mais sa rencontre avec le héros lui fait prendre la résolution de tout arrêter.
Mais s'ils veulent vivre ensemble, sans crainte, il va leur falloir tuer un homme…
Le ton est grave, mais pas triste ; c'est fort et intense, du vécu du narrateur.
Roman sur l'amour, le voyage, la solitude, les rencontres, les relations humaines, le courage, la souffrance, l'exploitation de l'homme, le destin, …
Erri de Luca exprime beaucoup de sensualité avec peu de mots. L'écriture est ciselée, les phrases sont courtes. Rien n'est superflu. C'est une belle écriture poétique, nostalgique à souhait !
Un court roman plein d'émotions, de sensualité, de délicatesse, de retenue, de pudeur…
Un moment de grâce.