Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais il est rare que je lise une revue de A à Z et, qui plus est, dans l'ordre. Je grappille, en arrière, en avant, je lis, je relis... au gré de mon oeil et de mon humeur.
Ce qui est sûr, c'est que pour la revue Décharge (dont j'apprécie la richesse, l'éclectisme, la non-prétention doublée d'un solide travail − et qui dure, du genre "oeuvre oeuvrée" comme disait le poète, admiration-respect) je commence toujours par le même article : "Il y a poésie" de
Mathias Lair, qui me régale à tous les coups, et spécialement dans le dernier numéro, le 184, que je viens de recevoir hier. Serait-ce flagornerie de dire que j'ai encore bu du petit lait ? (Le chroniqueur ne sera pas surpris, j'ai déjà eu l'occasion de le lui dire.) Ici, son sujet, c'est "la danse avant tout", ce moment d'apesanteur où il se passe réellement quelque chose quand on lit de la poésie (ou qu'on en écrit). Quoi ? Ce qui nous échappe pardi, le "réel énigmatique" après lequel on gesticule, on court, on danse : une évanescence dans l'air. Je souris au dernier paragraphe que j'aurais envie de recopier tout entier pour ce « moment de suspens » que contient le poème. (Je vous laisse le découvrir page 121.)
Que lis-je en deuxième ? Les notes de lecture d'
Alain Kewes dont j'aime la finesse d'esprit, et, dans ce numéro 184, mazette, lui, le modeste, le discret, le voici en première de couverture avec un long poème de 7 pages ! Pour un « papoète » (sic), bel exploit. Un poème sur la poésie en plus ! La vraie, la fausse, celle qui n'en a pas l'air mais qui quand même ou l'inverse... Vis, étagères, notices et modes d'emploi, pieds qui boitent, le tout qui s'écroule sur vos pieds (à vous), on reconnaît là le bricoleur né, facétieux et pirouetteur. Alors alors ? Eh bien, lisez son papoème en 7 strophes, il vous faudra bien ça pour refaire le monde, de la poésie... Mais sachez d'ores et déjà que « le poème, c'est du réel décortiqué, en kit ». Vous regarderez vos étagères suédoises d'une autre façon. Et lesdits poèmes aussi.
Il est beaucoup question de poésie et de prose sur la poésie dans ce numéro de Décharge. Dans mon grappillage anarchique (mais l'est-il vraiment, les aimants s'aimantant, n'est-il pas ?) je dévore la contribution de
Patrick Argenté dans les fameuses « Ruminations » de
Claude Vercey « L'émotion la poésie 2 ». (Déjà j'aime l'absence de virgule dans ce titre.) Je dévore, ou plutôt j'avale, l'article car ma bouteille de lait UHT Mathias-Lair-Alain-Kewes a fait des petits en quelques pages. J'ai toujours apprécié dans la revue les articles ruminatoires de
Patrick Argenté et là, que lis-je ? Exactement ce que je pense, mot pour mot de la création poétique : la sensation, à l'instant où s'écrit le poème, d'une cascade ! « Il y a une sorte d'enchaînement de l'écriture qui crée le poème. C'est une écriture en cascades successives, son et image assurant la continuité du film… » J'ai toujours vu ça comme ça, le blanc du poème restant du mouvement : celui de l'eau entre deux rochers, deux pierres. Une suspension, oui (un autre « suspens » comme dirait
Mathias Lair) aussi pleine de réel que les mots qui le créent. Et pour « l'enchaînement » dont parle le poète, mon mari, plus atomiste dans l'âme que moi, parle « d'une réaction en chaînes entre les neurones ». Où la science rejoint la poésie. (Un sujet pour de prochaines Ruminations ?)
Pour le reste de la revue, je vous l'ai dit, je grappille « à sauts et gambades », et donc je n'ai pas encore tout lu, cette petite note impromptue se voulant aussi cascade, ricochet dans l'eau vive de la lecture.
Marilyse Leroux, 13/12/2019