L'amour dont l'entourait Maun-Sing ne pouvait lui voiler complètement ce que cette nature avait pour elle d'inconnu, de mystérieux. Elle le pressentait inflexible, peut-être cruel, et elle le savait orgueilleusement autocrate... Il était le souverain, craint, adulé plutôt, car c'était vraiment un culte idolâtrique que lui rendait tout son entourage.
Manon en éprouvait un secret froissement et une vive surprise. Comment cet homme si remarquablement intelligent, élevé en partie à l'européenne, qui lui avait dit avoir dans les veines du meilleur sang français, adoptait-il ces vieux errements de ses ancêtres, qui se prétendaient issus du dieu Brahma en personne?
Contente-toi d'être ma femme très aimée, de régner sur moi en souveraine. Mais ne t'occupe pas des actes de ma vie publique, ne te pose pas en juge de ma conscience. Il faut que cela soit bien convenu, pour nous éviter désormais à l'un et à l'autre ces moments pénibles.
Tu es le maître ? Ah ! non, tu ne l'es plus !... Tu ne l'es plus, seigneur ! Une femme occupe ta pensée, possède tout ton cœur, domine ta volonté... hélas ! je m'en doute ! Avant de la connaître, tu ne songeais qu'à ta haute mission de sauveur d'un peuple. Maintenant, ce souci passe au second plan. Elle d'abord, cette enchanteresse !... Près d'elle, tu oublies tout ce qui t'occupait autrefois. Ce qu'elle veut, tu le veux. Son bon plaisir seul compte pour toi...
— J'accepte de devenir votre femme...
Et par cette simple phrase, elle avait tiré un grand trait sur son passé d'enfant trouvée à qui la vie avait offert plus d'épines que de rosés.
Il a ramené une Française, dont il est follement épris. Cette femme, je la hais !... Et lui... lui, je l'aime plus que jamais ! Il faut que je les sépare. Il faut que je la fasse souffrir, cette Manon, si belle, qu'il aime éperdument.