Il y avait au moins une chose que je savais faire, une seule chose que la vie m'avait appris à réussir : serrer les gens contre moi, en plein désastre, faire semblant de ne pas avoir peur, rester debout quand tout s'effondre et faire semblant de rien, croire qu'on va s'en tirer.
Je ne crois pas que mon appréhension ait été flagrante : sans que j’aie à faire d’effort, j’ai toujours eu l’air plus arrogant que craintif. Et j’avais passé l’âge de croire que les gens sont capables de lire en vous comme dans un livre ouvert : ils voient ce qu’on montre et puis basta. C’est pas comme s’ils en avaient quoi que ce soit à foutre, de vos émotions intérieures.
L’espèce d’amour qu’elle me portait était tellement entier, indiscutable, solide et vaste, que ça ne me paniquait pas.
C’est pas nous, Bruno, c’est pas nous… Ça fait longtemps que je voulais te le dire : faut pas t’en faire comme ça sur toi, comme si t’avais merdé quelque chose. C’est pas nous Bruno, personne est heureux dans ce monde-là. Personne. Réfléchis-y. Y a vraiment que les tous petits enfants.
Je me suis dit que ça devait être les effets pervers des quotas de chansons françaises à la radio, qui avaient donné à des gosses de riche l'envie de parler comme des pauvres.
J'avais passé l'âge de croire que les gens sont capables de lire en vous comme dans un livre ouvert : ils voient ce qu'on montre et puis basta. C'est pas comme s'ils en avaient quoi que ce soit à foutre, de vos émotions intérieures.
Le problème, avec ce genre de gars du cinquième, bien habillé, grassement payé, bien né, bien éduqué, bien cultivé, ayant un bon job, etc. c’est qu’ils annulaient tout espoir en l’humanité. Quand je croisais un type trop largué au comptoir d’un PMU et qu’il me racontait n’importe quoi, je pouvais toujours m’imaginer qu’avec un peu de boulot il réfléchirait plus droit. Mais ces gars du cinquième signaient la mort de cette illusion. Ils avaient tout pour eux mais restaient aussi cons qu’une bite.
Est-ce que j'allais me transformer en vieux rabatteur de joie réactionnaire et tout coincé, tout ça parce que j'avais une môme ?
La douleur des séparations amoureuses m'a toujours intrigué, dans sa spécificité. C'est une sensation précise, inimitable, déclenchée par rien d'autre. Un tourment caractéristique, plein de fiel et de peurs, qui réveille certaines zones dont on est inconscient la plupart du temps. Pareil que quand on se coince un nerf dans le dos et qu'on réalise le nombre improbable de mouvements qui sollicitent cet endroit d'habitude inexistant.
Je ne croyais pas encore à tout ce qui m'arrivait. Un enfant obstiné, planté dans ma poitrine, avait croisé ses bras et boudait, attendant qu'un genre de Dieu descende du plafond, un adulte responsable, et remette tout ça en ordre, promptement.