L'étrange musique de
Patrick Deville, faite d'une géographie errante au fil des folies humaines, d'une mémoire historique incisive et d'un arpentage fantasque des lieux...
Dans l'Indochine rêvée de l'empire colonial français, il convoque les mânes de
Malraux, d'Auguste Pavie, de
Henri Mouhot et de bien d'autres. Sihanouk traverse l'histoire du Cambodge moderne comme une météorite laissant un trou béant où s'installe l'entreprise génocidaire des Khmers rouges. le delta du Mékong dénoue ses boucles paresseuses comme un boa constrictor capable d'avaler plusieurs siècles de civilisation brillante avant de régurgiter les petits osselets qui danseront dans la main des colonisateurs de tous poils.
Nous suivons, fascinés, la déferlante silencieuse des chauves-souris khmères sur un Phnom Penh chancelant sous la défaite. L'Angkar se dresse bientôt, terrifiant, et
Patrick Deville excelle à nous faire sentir cette machine à broyer de l'humain avec une logique infernale et ubuesque. Les lieux où il nous convoque, qui me sont parfois familiers comme Vientiane, Luang Prabang, My Tho, Can Tho, Saigon... se dessinent dans une image tremblée qui affleure doucement à la mémoire avec un parfum de regret, plutôt que d'amertume. Comme si la puissance qui émane des lieux, du passé, est irréductible à une archéologie de la violence et du sang et ne peut être saisie que dans le voile irisé qui se dépose sur
L Histoire dès qu'elle s'accomplit.