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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avant même de lire le Neveu, je l'ai rencontré...au théâtre , sa forme dialoguée se prêtant merveilleusement à la mise en scène, et au ballet virevoltant et paradoxal des idées de Diderot, à leur dialectique étourdissante! J'étais très jeune, et ce spectacle, très réussi, donné à Bruxelles par la comédie Claude Volter, dans un vieil hôtel particulier où Diderot et son compagnon devisaient à 10 mètres de nous, devant un feu de bois, a cristallisé ma passion pour ce texte et pour son auteur!

J'ai, depuis , souvent relu cet exercice de voltige brillant où Denis Diderot le philosophe , sérieux et légèrement embourgeoisé par l'âge et la notoriété, rencontre avec une méfiance non dénuée d'intérêt ni de malin plaisir, le jeune neveu du musicien Rameau, sorte de trublion pique-assiette, esprit brouillon et provocateur de génie , adepte des théories les plus fumeuses sur à peu près n'importe quoi- et prêt à les renier pour en professer d'autres tout aussi saugrenues le lendemain, selon qu'on lui a donné ou refusé à manger ou à boire!

Chacun sait que ce face-à-face est aussi - et avant tout- un face-à-face de Diderot avec lui-même , sa moitié contestataire en apparence réincarnée dans le neveu - sorte de second lui-même mais plus jeune, et soudain libéré de toute bien-pensance, délivré de cette sagesse qui devait lui peser parfois...

Le neveu de Rameau est un prête-nom à la fois reconnaissable- c'était une "figure" célèbre des cafés philosophiques et des parties d'échec- et commode: elle permet à notre philosophe de retrouver une impertinence, une liberté de ton, un non-conformisme qui secoue un peu le vieux monsieur trop sérieux qui a besoin qu'on le titille un peu pour réfléchir et argumenter.

Et cette extraordinaire vitalité fait aussi le bonheur de notre alacrité de lecteur: si vous cherchez un prêt-à-penser, passez votre chemin! Point de leçon, pas de morale toute tirée à découper selon le pointillé...

D'autant que très subtilement les choses s'inversent: celui qui semblait professer les idées les plus révolutionnaires s'avère mû par le désir de provoquer ou de trouver sa subsistance plus que par une vraie vision sociale, alors que le philosophe un peu plan-plan du début s'avère être un grand visionnaire politique et moral...

Un dialogue plein de surprises, de faux-semblants, de faux-frères ou de faux jumeaux: un vrai plaisir à lire et à relire, dont on ressort chaque fois un peu moins bête!
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La date à laquelle ce texte a été écrit est incertaine, différentes hypothèses ont été posées. Comme la plupart des textes de Diderot, il n'a pas été édité dans le circuit habituelle des librairies, mais un certain nombre de manuscrits ont circulé. C'est seulement en 1805 qu'une traduction en allemand, effectuée par Goethe paraît, ce dernier a eu accès à un manuscrit qui avait été conservé en Russie. Mais c'est seulement en 1891 qu'une version complète et autographe est retrouvée, qui a depuis servi aux différentes éditions.

Le texte se présente comme un dialogue entre un Moi, narrateur philosophe et Jean-François Rameau, un neveu du grand compositeur Jean-Philippe et musicien lui-même, un musicien qui est loin d'avoir connu la réussite de son oncle et qui vivote plutôt en parasite. C'est une discussion à bâtons rompus, qui aborde différents sujets, ce qui donne un côté décousu au texte, le sens qu'il faut lui donner a donné lieu à des interprétations et analyses différentes.

Le sous-titre en est La satire seconde. La satire est un genre qui s'attache à dénoncer tout ce qui contrevient à la moralité commune, aux valeurs et aux usages codifiés ou non. Il s'agit d'attaquer les vices ou les ridicules des hommes, elle n'est pas dépourvue de cruauté, même si elle se donne comme objet de corriger les vices et ridicules qu'elle pourfend, elle aurait donc une visée morale. Nous avons bien la dénonciation d'un certain nombre de comportements, mais au final c'est Rameau qui les énonce, or c'est un personnage qui n'est pas très reluisant, et qui professe une morale peu orthodoxe, susceptible d'en faire l'objet d'une satire, plus qu'un satiriste « respectable ». Plus que des personnes précises, sa satire semblent cibler des comportements sociaux liés au clientélisme par exemple : ses riches protecteurs l'ont chassé car, il n'a pu s'empêcher de se moquer d'eux, en réponse à la position humiliante que la dépendance financière a créée. Faire le fou pour distraire est bien pris, mais il ne faut surtout pas dire le vrai, ce qui dérange, ce qui était à une époque le rôle du bouffon.

La morale est une question essentielle chez Diderot, et dans ce texte c'est un personnage censé être immoral qui est au centre du récit. Il réfute notamment la morale religieuse, invoque la relativité des valeurs sur lesquelles se base la morale, qui risque elle aussi de devenir relative, donc contestable. le philosophe le réfute, mais ses raisonnements ne sont pas aussi brillants que les propos de Rameau. Mais Rameau est-il vraiment immoral ou ne réfute-t-il qu'une morale liée aux manières de voir et aux préjugés d'une époque ? Une sorte de recherche de dignité, de bien-être pour tous marque ses propos, un droit à la paresse. Et le Philosophe lui reconnaît une grande clairvoyance dans ses jugements musicaux : même s'il ne compose pas lui-même une grande musique, il est capable de la distinguer et de l'expliquer.

C'est malheureusement la partie du texte qui a le plus vieilli : les propos acerbes sur Jean-Philippe Rameau (qui sera oublié dans 10 ans, qui lui-même ne comprend pas ses Traités sur la musique etc) font un peu sourire, surtout lorsque Diderot donne comme modèle toute une série de musiciens, dont la majeure partie est oubliée sauf peut-être des spécialiste pointus de l'époque, et ceux qui restent dans le patrimoine commun, sont plutôt secondaires, sauf peut-être Pergolèse. Mais l'auteur semble mettre dans la bouche du neveu ses opinions et analyses sur la matière, qui étaient partagées par une partie des encyclopédistes.

C'est un texte complexe, qu'il est difficile de saisir dans toutes ses implications, mais c'est un texte brillant, amusant, plaisant à lire. Très théâtral aussi, c'est un vrai dialogue plein de vie, ce qui fait qu'il a donné lieu à des adaptations pour la scène.
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Je termine mon parcours de lecture en 2020 en très bonne compagnie : Denis Diderot himself ! Et avec quel plaisir ! « le neveu de Rameau » une fête de l'intelligence et de la virtuosité d'écriture .Le dialogue entre le philosophe et ce parangon de parasite social souligne s'il en était encore besoin l'incroyable modernité de Diderot .Rameau aujourd'hui ferait fortune à la télé comme animateur de « Talk-show » ou sur le Net comme « influenceur » (mais avec du talent dans son cas) . Les propos sur la société ,l'éducation , l'approche de la vie sont d'une criante actualité. Ne parlons pas de cette merveilleuse langue du 18ème qui à la lecture révèle dramatiquement notre décadence (oui j'assume le point de vue du vieux ronchon…Vous êtes libres de préférer la « poésie » d'Aya Nakamura).
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J'aime retrouver les mots restés ancrés dans ma mémoire comme cette première phrase "Qu'il fasse beau, qu'il fasse laid, c'est mon habitude d'aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal." qui annonce "Le neveu de Rameau" de Denis Diderot ou encore "Un après-dîner, j'étais là, regardant beaucoup, parlant peu, et écoutant le moins que je pouvais ; lorsque je fus abordé par un des plus bizarres personnages de ce pays où Dieu n'en a pas laisser manquer."
Cela annonce la couleur et me rappelle les années lycées.
Jean-Philippe Rameau le compositeur avait réellement un neveu que Diderot a rencontré (il est nommé LUI dans les dialogues) bien que ce texte ne soit pas ouvertement présenté comme autobiographique.
Le narrateur est un philosophe (nommé MOI) qui engage une conversation avec Jean-François Rameau, homme extravagant et cynique qui aime à le pousser dans ses retranchements. La confrontation des idées sur de nombreux thèmes (la morale, Dieu, le quotidien, la musique…) et les joutes verbales sont des prétextes pour montrer des jugements opposés. On voit par ces dialogues que Diderot est un chercheur de vérité, un maître de la remise en question.
Déjà au siècle des lumières la fiction était l'alliée de l'argumentation et cette lecture m'a rappelée de bons souvenirs.


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Bizarre destinée que celle du « Neveu de Rameau » : écrite vraisemblablement entre 1761 et 1774, cette oeuvre ne fut publiée qu'en 1805 en Allemagne (et en allemand) et traduite en français seulement en 1821. Et ce n'est qu'en 1891, à la suite de la découverte d'un manuscrit français inédit, qu'on a pu avoir le texte définitif de ce chef-d'oeuvre.
Toute aussi bizarre est l'organisation de ce texte : ce n'est pas un conte, ni une nouvelle, ni une fable en prose, ni un roman, ni une pièce de théâtre, ni un essai… c'est un peu tout ça à la fois sous forme d'un dialogue entre deux personnages : « Moi » (Diderot) et « Lui » (le neveu de Rameau), qui se sont retrouvés à une table du Café de la Régence, entre des joueurs d'échecs ; ce dialogue, vif et étincelant, est entrecoupé de descriptions destinées à dresser le portrait de ce singulier bonhomme :
« Un après-dîner, j'étais là, regardant beaucoup, parlant peu et écoutant le moins que je pouvais, lorsque je fus abordé par un des plus bizarres personnages de ce pays, où Dieu n'en a pas laissé manquer. C'est un composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison ; il faut que les notions de l'honnête et du déshonnête soient bien étrangement brouillées dans sa tête ; car il montre ce que la nature lui a donné de bonnes qualités sans ostentation ».
La conversation est à bâtons rompus, tous les grands sujets y sont abordés avec un esprit généralement satirique, un cynisme parfois grinçant, mais toujours dans une belle alacrité. Les rôles au départ sont bien distribués : « Moi », Diderot, le philosophe des Lumières, représente une certaine stabilité, voire de conformisme, alors que « Lui », le Neveu, en apparence plus brouillon, avance des idées, sinon révolutionnaires, du moins déstabilisantes, notamment sur des points aussi clivants que la morale ou la religion.
En fait, on s'aperçoit vite que « Lui » n'est autre qu'un dédoublement de « Moi » : la dualité de l'homme est indéniable : nous sommes constamment en équilibre entre stabilité et mouvement, entre envie de rester et envie de partir, entre conservatisme et appétit de nouveauté. Cette idée se retrouve dans tous les sujets abordés : notamment la politique, où les deux interlocuteurs se rejoignent sur un point de vue commun : c'est à l'image de la vie, dans son ensemble, une pantomime, où tous les humains jouent y compris les philosophes et les neveux de musiciens.
C'est ainsi qu'au fil de la discussion, les deux hommes échangent leurs idées, et qu'à la fin, on assiste un peu à un renversement : « Moi » se fait plus ouvert, et « Lui » met de l'eau dans son vin, tous deux finalement représentant une vision de la condition humaine, faite de contradictions, qui parfois s'opposent, mais qui parfois sont complémentaires.
Au bout du compte, le constat n'est pas très différent pour « Lui » et « Moi » : le philosophe accepte le monde, mais doit faire des concessions ; le neveu, dans les mêmes conditions, préfère la pantomime.
Ce qui me rappelle cette citation de Sénèque :
« Vivre, ce n'est pas attendre que l'orage soit passé. Vivre, c'est apprendre à danser sous la pluie ».


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Ni l'écriture enlevée, théâtralisée, réjouissante, ni la forme satirique du message qui dénonce ces parasites, pleins de superbe artificielle mais sans la moindre vertu n'ont pris une ride. On peut s'en réjouir pour la littérature qui a gagné un de ses grands classiques, un petit chef-d’œuvre (si des chefs-d’œuvre peuvent être petits). On peut se morfondre pour l'état de nos sociétés et des mœurs qui continuent d'y sévir ; car qui ne reconnait dans Jean-François Rameau nombre de nos contemporains hauts placés ? Encore que, comme le souligne Diderot, « la différence la plus marquée entre mon homme et la plupart de nos entours [est qu'] il avouait les vices qu'il avait [qu'] il n'était pas hypocrite ». Deux cent cinquante ans plus tard, le vice s'est perfectionné d'une habileté qui aurait fait pâlir le philosophe : il se fait passer pour vertu.
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Le Neveu de Rameau revêt la forme d'un dialogue entre un philosophe et le neveu de Rameau. Diderot tient des deux personnages. Attablés dans le Café de la Régence, ils devisent alertement à la manière du jeu de paume, le philosophe se contentant de renvoyer la balle par quelques questions, remarques judicieuses, afin que Jean-Philippe Rameau fasse les frais de la conversation, dans le but de mieux cerner l'originalité remarquée de son partenaire en causerie.

Le Neveu de Rameau est un vaurien et n'en fait pas mystère, il le revendique. N'ayant ni la nature, ni le talent, ni l'ardeur au travail de son illustre prédécesseur, il prêche l'opportunisme avec effronterie tout en restant spirituel. Notre homme n'est pas sans ressource, mais il est enclin à suivre ses penchants, sa pente. Il sais ce qu'est la vertu, mais être vertueux c'est se rendre fâcheux et çà ne rapporte guère, servons plutôt la sauce qui plait au nigaud afin qu'il soit mangé avec le moins d'embarras pour soi-même. Malgré sa pauvre mise, il n'en rabat pas, il a de la verve, il est facétieux, il aime au contraire à se faire remarquer. En résumé c'est un joyeux drille, un bon compagnon, pourvu que vous ne suiviez pas ses préceptes, si les vertus cardinales vous sont chères.

Par sa forme, cette oeuvre faite de dialogues, à la vivacité d'une pièce de théâtre de Molière. Les nombreuses notations, si elles éclairent le texte, nuisent un peu à son rythme. L'auteur se montre spirituel, ironique, iconoclaste. de la trinité Voltaire/Diderot/Rousseau, c'est toujours la second que je préfère. Il me semble plus drôle et moins matérialiste que le premier, plus aimable et moins pathétique que le dernier.
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Le Neveu de Rameau n'est peut-être pas le premier livre de Diderot qu'un néophyte ouvrira, car il risque d'être dérouté par le jeu constant des digressions, des interruptions, des dialogues, pantomimes et récits imbriqués les uns dans les autres. C'est une "rhapsodie", avertit Diderot, un ouvrage composé de mille choses différentes, un patchwork qui découragera et agacera, surtout si l'on est étudiant et si la lecture est obligatoire. Donc, quand on aura fait connaissance de l'auteur à travers le Supplément au Voyage de Bougainville et quelques contes oraux, dialogués, on lira le Neveu pour goûter la joie puissante qui s'en dégage, le bonheur et l'ironie de vivre, et le jeu littéraire d'un ouvrage écrit avec tant de soin, que l'auteur n'a jamais publié...
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Totalement dingue. J'adore.
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