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Partant d'un article de Pasolini de 1975, article désenchanté en forme de fable politique évoquant la "disparition des lucioles" Georges Didi-Huberman traite sur ce thème de la question de la place contemporaine des images.

L'argument de Pasolini (qui allait mourir peu après) est resté célèbre: les traditions - et l'identité même des peuples - se seraient perdues progressivement dans la consommation effrénée, dans l'américanisation globale et sans partage de la société. Avec les années 60-70, c'est l'âme même de la nation italienne qui se serait ainsi perdue. En comparaison, quelques décennies plus tôt, le fascisme mussolinien était passé de manière assez neutre finalement, il n'avait pas entamé l'esprit du peuple. À l'inverse, la télévision, la nouvelle presse écrite, le spectacle navrant des élites, et de manière générale, les nouvelles logiques consuméristes et de réussite calquées sur le modèle américain, ont eu de manière cumulée une influence dévastatrice sur le peuple italien, sans possibilité de retour.

Ainsi, il n'y a plus de "lucioles" autour de Rome, maintenant urbanisé... Où la belle image des lucioles est employée comme métaphore des anciennes formes de résistance.

... des formes de résistance prenant, en particulier, la forme d'images. L'argument est que le nouveau spectacle des images n'est plus éclairant, au contraire, il nous bouche la vue.

Car de quelles images parlons-nous? Images évoquant la grande lumière éternelle ("luce"), lumière majestueuse du paradis dans le monde judéo-chrétien d'hier, lumière devenue celle, contemporaine et désolante, des médias et du spectacle? Images comprises comme fins, comme vérités dernières?
Ou, images comme sources, comme graines, comme germes, images opérant comme des lucioles ("lucciole") dans l'obscurité du présent?
Il y a ainsi d'un côté: les images télévisuelles, nocives, celles qui achèvent d'englober le regard. Les images comme horizon messianique de la société du spectacle.
De l'autre: les "images-lucioles", reliquats du passés servant à une lecture plus éclairée du présent, portes étroites vers des avenirs plus radieux.
D'un côté: la puissance et la gloire, la grande lumière aveuglante, qui noie le regard littéralement.
De l'autre: des bribes de lumière qui aident à y voir plus clair.
D'un côté, le règne sans partage de la logique capitaliste, médiatisée par les images.
De l'autre, la survivance des marges, les espaces de liberté trouvée dans les images-souvenirs, la possibilité restée vive d'une non-détermination. le maintien de débats publics, de confrontations, de partages d'idées.

Violent et polémique, le propos de Pasolini est âpre, pessimiste, sans appel: les lucioles disparaissent.
Chez Debord, plus tard chez Agamben, le discours est également apocalyptique, offrant peu d'espace à l'espoir.

Dans cet essai, Didi-Huberman s'emploie à démonter ce pessimisme philosophique et politique. Il en pointe les contradictions et le met en balance avec une lecture personnelle des écrits de Walter Benjamin.
Déjà, il note que penser la "disparition des survivances" est un non-sens. Les lucioles - parce qu'elles sont effectivement là - nous garantissent que l'oubli ne sera jamais définitif. Les lucioles pourront toujours, éventuellement, remonter à la surface.

L'essai de Didi-Huberman a pour double mérite de (1) souligner le rôle fondamental des images dans la constitution du regard politique, et (2) d'en projeter davantage les bienfaits que les méfaits. À l'heure de l'image Instagram "botoxée", de la publicité "rutilante", du feuilleton BFM permanent, feuilleton toujours plus fascinant, plus déliquescent, auquel nous ne cesserions de puiser notre tristesse contemporaine, il peut être bon de se redire que les images, dans leur versant positif si l'on veut, sont également des passeurs, de survivantes lucioles qui éclairent, pour continuer à envisager d'autres logiques d'avenir.

Contre les systèmes sans issues de Pasolini, de Debord, d'Agamben, le livre de Didi-Huberman est, quelque part, un rempart contre le fatalisme. Pourtant, dans mon sentiment, à répéter que "on pourra toujours éviter la catastrophe", il en devient lui-même assez catastrophiste... de sorte qu'on aurait envie de le contredire lui-même - comme poussé par un réflexe de survie. Son livre est éclairant, mais comme le sont toujours les médias au sens large. Tout comme les pratiques et interrogations individuelles face aux médias, à la publicité etc. Mais peut-être que je cherche à me rassurer. Que je me leurre moi aussi après tout sur mon propre aveuglement, c'est-à-dire, que je me leurre dans mon rapport au leurre. Ce n'est à la fin qu'un avis, moitié éclairé, moitié leurré, un petit avis, pas grand chose.
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Ce petit livre s'adresse en priorité à ceux que l'état présent de notre société écrasée sous la barbarie de la logique marchande et du spectacle, amène à désespérer d'un quelconque devenir humain et consécutivement, au renoncement et au repli individuel.
Illustrant son propos d'une image extraite de la Divine Comédie mise en relation avec les prises de position successives et contradictoires de Pasolini sur ce qu'il était possible d'attendre des formes de résistance conjointes, issues de la culture populaire et de « l'avant-garde », Didi-Huberman marque clairement ici sa divergence : « Mais une chose est de désigner la machine totalitaire, une autre de lui accorder si vite une victoire définitive et sans partage. le monde est-il aussi totalement asservi que l'ont rêvé - que le projettent, le programment et veulent nous l'imposer - nos actuels "conseillers perfides" ?
Le postuler, c'est justement donner créance à ce que leur machine veut nous faire croire. (...). C'est donc ne pas voir l'espace, fût-il interstitiel, intermittent, nomade, improbablement situé, des ouvertures, des possibles, des lueurs, des malgré tout. »
S'appuyant, entre autres, sur les thèses développées par Walter Benjamin à l'époque de la domination nazi et en contradiction avec celles que Giorgio Agamben a postulé dans ses récents ouvrages, l'auteur ouvre ici quelques pistes encourageantes sur ce que pourrait être, sur ce qu'est déjà, la « résistance » en notre si déprimante époque.
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Texte brillant. Un chef d'oeuvre de la philosophie qui même philosophie politique avec l'esthétique.
Le titre provient de divers textes et souvenirs de Pasolini, couplant son souvenir de l'apparition de lucioles dans la banlieue romaine avec un vers de Dante décrivant la Bolge des esprits corrompus et des politiciens perfides. Les lucioles sont les fulgurances politiques du peuple, les survenances intellectuelles de l'espace public contre un pouvoir fasciste corrompu et un pouvoir absolutiste de l'image et des médias principalement.
La problématique va donc se résumer à comprendre s'il y a une extinction de la parole politique populaire ou s'il demeure une capacité de survivance de cette parole politique malgré les pouvoirs qui lui sont antagonistes.
En passant par Agamben, Warburg, ou Benjamin, Didi-Huberman ne cesse de tenter d'évoluer de manière dialectique dans une évolution de la pensée politique et de l'espace au travers de l'art ou simplement du langage et des comportements sociaux.
Chef d'oeuvre. Didi-Huberman l'un des intellectuels les plus importants du XXe siècle et du siècle actuel permet de mettre en perspective un questionnement sur le déclin hypothétique ou avéré de notre société. En passant par des chemins inédits, en questionnant des disciplines artistiques telles que la poésie le philosophe procède par enquête et constitue une synthèse de notre évolution post guerre mondiale.

Ouvrage peu accessible de par les références qui le constituent il n'en demeure pas moins qu'il est indispensable de le lire, le relire, le re-relire jusqu'à épuisement du sujet et digestion de celui-ci. le style est agréable, et l'observation suffisamment ludique pour permettre à tous de comprendre le message principal. Une dernière chose importante, ce livre donne envie de penser et de lire les références. Un ouvrage réussi.
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Réactivons l'espoir ! Réactivons notre regard ! Cherchons. Cherchons dans la nuit, fouillons la Noire. La flammèche, l'étincelle, une trace, un signal, la palpitation luminescente d'un « plus que vivant », une persistance, un rappel de mémoire, la pointe d'une flamme qui perforerait la toile de nos tentes lourdes de suie, de cendres, de cambouis, de boue, de pluies harassantes.
Un éclat comme l'éclat d'un sourire, un éclat de rire.
Une re-montrance. Une re-montrance qui échappe aux distances , aux temps, une re-montrance de notre présence, la résistance possible, une prise, une échappée rétinienne. Un remontage d'un temps subi. Re-montrage. Voir autrement, faire apparaitre le sujet autrement. Par l'urgence d'un choix, par une libre et urgente nécessité intérieure. Se mettre en quête d'une lueur et adresser cette lueur à autrui. Pour ne pas se contenter de docilement mettre en Lumière mais éclairer ce qui nous échappe, ce que nous ratons, ce qui nous mutile.
En 1941 un jeune italien de 19 ans P. P. Pasolini va revisiter l'enfer de Dante, il va s'interroger sur l'ombre humaine, sur la portée de la Lumière en écoutant, en les observant, Giotto, Massaccio, Masolino, Erich Auerbach, Roberto Longhi et tant d'autres. Ils pense. Il voit. Il voit les lucioles et les regarde.
Les lucioles, petites « fireflies », , extraordinaires « petits oiseaux du feu » comme aurait dit Bachelard..
Lucioles, elles, si petites, si fragiles, vouées à l'enfer, à la nuit, vouées leur sève luciférine.
Lucioles,... mauvaises graines, ….cette ivraie bonne à jeter sur les braises de l'enfer. Cette brisure de chapelet. Et cette lumière blanche, totale, totalitaire omniprésente, qui éclaire le bon grain, cette lumière presque lame qui foudroie par son pouvoir la multiplicité de nos possibles.
Et si cette lumière que se voudrait être seule vérité, seule loi, seule pureté, si cette Lumière à qui l'on donne suivant les époques le nom de toutes les églises, de tous temples, de tous les dogmes, de toutes les dictatures  provoquait notre aveuglement ?
Et si le peuple des lucioles, ces damnés de la terre, était un peuple d'innocents ?
Voilà, une lecture surpuissante de la Divine Comédie ! .
«  L'univers dantesque est donc bien inversé : c'est l'enfer qui, désormais, est au grand jour avec ses politiciens véreux, surexposés, glorieux. Les lucioles, quant à elles, tentent d'échapper comme elles peuvent à la menace, à la condamnation qui désormais frappe leur existence.''
Elles s’échappent et dansent l'amour joyeux, dansent l'amitié totale. Elles dansent l'innocence du monde. «  io mi sono denudato e ho danzato in onore della luce) « Plongés dans la grande nuit coupable, les hommes font quelque fois irradier leurs désirs, leurs cris de joie, leurs rires, comme autant de lueurs d’innocence. » .
Le peuple des lucioles c'est l'enfance du monde. L'enfance de l'art. C'est un devenir qui porte en lui même touts les possible de son histoire.
C'est le pauvre, c'est le sans-voix, c'est le poète, c'est l'artiste, le troubadour, c'est le voleur, c'est le nomade, le fugitif, c'est le tout chemin, va nus pieds, le bohémien, c'est le hors la Loi, c'est le crève la faim, celui qui ne possède rien, le sans toit, le sans grade, le sans titre, le sans nom, le sans travail, sans papier, le pestiféré, l'exclus, l'exilé, celui que l'on montre du doigt.
Mais il doit être l'exception qui confirmera la bonne et sainte règle.
« L'innocence est une faute, l'innocence est une faute, comprends tu ? Et les innocents seront condamnés, car ils n'ont plus le droit de l'être.Je ne peux pardonner celui qui traverse avec le regard heureux de l'innocent les injustices et les guerres, les horreurs et le sang. Il y a des millions d’innocents comme toi à travers le monde qui préfèrent s'effacer de l'histoire plutôt que de perdre leur innocence.Et je dois les faire mourir, même si je sais qu'ils ne peuvent faire autrement, je dois les maudire comme le figuier, et les faire mourir, mourir, mourir. » La sequenza del fiore di carta ( 1967-1969, Per il cinema. )

1941, l'Europe, le monde entier, est plongé dans sa nuit dans le brouillard, les monstres dictateurs allument les feux de leur rampes, lumière froide, lumière directe, inquisitoire, leur lumière, leur lumière comme des lance flammes.
Pasolini s'interroge, perçoit comprend. La première partie de son œuvre sera la plus grande re-montrance qu'il adressera au désespoir, qu'il mettra en contre-pouvoir face à cette Lumière. Lumière que l'on croyait éteinte après la seconde guerre mondiale. Fascisme vaincu ? Mais ce que le jeune Pasolini comprend observe, c'est qu'une autre dictature a remplacé la présente. Elle n'a pas disparue elle a mutée. Elle est en place. Déjà. Pernicieuse, hypocrite, silencieuse, elle s’injecte peu à peu dans les artères d'un monde que l'on annonce comme Nouveau.
Une à une selon Pasolini les lucioles s'éteignent, et ne reviendront plus. Le génocide culturel est en marche. L'ordre nouveau condamne l'apparition de nouveaux temps. Nous devenons semblablement tous semblables sous le Règne de la lumière unique. «  cette assimilation totale au mode et à la qualité de vie de la bourgeoisie » «  le régime démocrate-chrétien était la continuation du régime fasciste ».
Le rêve, la danse des lucioles disparaît, le Règne de l'ambition, du pouvoir , et de l'envie tient tout l'affiche, sur le monstre écran de nos télévisions. «  ce pouvoir surexposé du vide et de l'indifférence transformés en marchandise », Pasolini, article des lucioles.
Et le combat fait rage, et le pouvoir est puissant. C'est le règne de la Lumière. Le fascisme du grand inquisiteur public. Pasolini perd les lucioles de vue. Pour lui elles ont disparu. Elles sont vaincues. Son peuple est mort. Notre humanité pour lui a disparu.
Les lueurs ne sont plus que des images fantômes. Il écrira l'article des Lucioles le 01 février 1975. 34 ans après que les lucioles lui soient apparues.Il vient de théorisé la disparition des lucioles... L' Apocalypse selon lui est advenu.
Alors même si l'un des plus grands veilleurs, défenseurs des hommes- lucioles a disparu, même si lui même s'est projeté contre la lumière, comme il le fit lors de la performance Intellettuale à Bologne en 1975 de Fabio Mauri, ( une des images les plus violentes et désespérantes que j'ai pu recevoir, violente à en pleurer ) en désespoir de cause, au désespoir de ses combats, il faut continuer, veiller, chercher, sauvegarder les lucioles.
Le combat est toujours d'actualité. Les lucioles, c'est la lumière à contre courant, c'est la parole contraire, c'est l'acte libre, c'est l'expression de la survivance de chacune de nos intensités, de nos particularités, c'est la multitude des lucioles qui donne à leur luminescence sa force d'action. C'est dans cette multitude, dans sa variabilité, que réside leur sens.
Non, les lucioles ne sont pas mortes nous rappelle Georges Didi Huberman.
Pardonnons à Pasolini, pleurons son effondrement, il a lâché prise. Mais la cordée continue.
Les lucioles ont survécues. Elles sont là, toujours présentes quelque part, elles sont là dans la maison noire, elles sont là dans la course joyeuses des enfants parmi les tentes des réfugiés qui ont fui la guerre, la famine, la dictature d'une incohérente Lumière, elles sont là dans tout ce qui donne à l'homme sont visage d'ange humain, elles sont dans chaque mot qui parle au nom des innocents, Les lucioles nous sont peut être invisibles mais elle n'ont pas disparues.
C'est parce que notre vue à changer, parce que les grandes lumières divines, politiques, économiques, financières, médiatiques - messianiques nous aveuglent. Il suffit d'un battement de paupière il suffit de tourner la tête, de faire un pas, de retrouver le hors champ , un clair obsur, pour les découvrir. Elles sont à Sangatte, elles sont sur les rives de la méditerranée, elles sont à Lesbos, elles sont dans les couloirs du métro, dans les camps de rétention,.
Non l'enfer ne s'est pas encore réalisé. Il n'a pas tout pris. Les innocents sont parmi nous. Et ne plus les voir, ne plus être capables de les ditinguer pour les protéger voilà le règne de la Barbarie. Voilà la tolérance cultrelle passive promulguée par la nouvelle forme du fascisme.
Mais les lucioles survivent, malgré tout. Elles sont le contraire d'un tout qui ne voudrait admettre que lui même.Un tout qui serait bien tenté de faire disparaître des innocents afin de se sentir moins coupable. Pas de corps, pas crime. Pas de crime, pas de victime et donc pas de coupable.
Mais les lucioles brillent, scintillent, palpitent. Elles s'aiment, se parlent, se retrouvent, se regroupent, «  malgré le tout de la machine malgré la nuit obscure malgré les projecteurs féroces », voilà ce que nous rappelle Didi-Huberman.
Les lueurs d'espoir sont toujours là. Intermitentes, innocentes, fugaces, légères, pulsatives, vivantes, vibrantes, « d'une beauté sidérante ».
Elles ne soumettent rien à leur Lumière, elles qui portent en elles toute la force de leur « éclairage en mouvement ». Ces la communauté des hommes livres évoquée dans Faranheit 451. « il faut environ cinq mille lucioles pour produire une lumière équivalente à celle d'une unique bougie ». La flamme d'une bougie, c'est fragile, ça ne fait pas de bruit, et pourtant c'est un fleuve qui vous ouvre les plus grandes routes du ciel. « Une danse du désir formant une communauté » voilà la plus belle des images de la survivance des lucioles.
C'est pas mal quand même d'inviter ses contemporains à rêver, rêver pour danser, penser pour rêver, pour réaliser son rêve. «  La politique ne va pas à un moment ou à un autre sans la faculté d'imaginer » écrit Hannah Arendt ( Sur la philosophie de Kant) .
Oui imaginez ! Osez imaginer ! , dire qu'il faut laisser l'innocence libre de danser, d'aimer, de vivre en amitié. C'est révolutionnaire non ? Vu sous la grande Lumière Politiquement incorrect...mais dans une nuit d'été réfléchissez…  malgré tout...ça c'est une très belle idée.
Oui Pasolini a désespéré de son temps, mais nous devons faire re-montrance du passé, réactiver notre mémoire, comme un espoir et non comme une relique ossifiée..
Nous étions , nous sommes, nous serons. Lucioles. Sauvegardons les , laissons leur une chance de survivre, laissons leur tout l'espace qu'il leur sera nécessaire pour qu'elles apparaissent, pour que que ce temps nous revienne.
Que nous puissions vivre cette expérience, à notre table d'existence.
Ne laissons pas l'annonce d'un Nouveau temps faire apparaître la fin de nos temps.
De ces temps nombreux et différents. Ne laissons pas un jugement dernier nous condamner à la Nuit. Ne laissons pas une Lumière nous annoncer quelque paradis qui n'est ni à l'usage ni à la dimension de l'humain.
Il n'y a pas de révélation. Il n'y en aura pas. Il n'y a que l'espérance de nos vies.
Il n'y as pas de message subliminale, pas de lumière de vérité.
Il n'y a que la danse fragile de chacune de nos vies.
Il n'y as pas de fantôme. Pas de spectre, d'enfer. Il n'a pas de résurrection.
Il n'y a que l'enseignement que les les lucioles nous transmettent en filigrane lumineuse sur les miroirs de la Nuit, comme si elles nous souriaient dans l'éclat de leur survivance :
«  la destruction n'est jamais absolue ». *
Il n'y aura pas de solution salvatrice, il n'y aura pas de résurrection,
il n'y a que nous, ensemble, fragiles, inconstants parfois, mais survivants toujours.
Les lucioles sont libres, savamment libres, et le Pouvoir est anarchique parce qu'il est ignorant.
Ignorant de la force des lucioles, de leur enseignement.
Il faut pour voir les lucioles tout d'abord les aimer. Les aimer positivement. Ne pas les craindre. Ne pas les inventer autrement. Il faut leur faire confiance, avoir confiance en leur intelligence. Il faut quand vous les appeler peuple prononcer ce mot sans penser que vous lui êtes différent, pensez aussi à ne pas oublier que ce peuple a conscience de lui même, il faut être à son égard bien-veillant. Alors il se pourrait que les lucioles reviennent, comme avant, danser sur les collines, les soirs d'été.
Ils se pourrait que nous retrouvions notre joie de danser.
Il se pourrait que cette multitude devienne une possibilité de démocratie.
C'est sur cette image que doit porter notre regard .
Sur cette image où nous sommes tous.
L'horizon est trop imprécis, trop vaste, trop plat, trop vertical.
L'humain combat toujours sa lourdeur, son ignorance, il rêve de prendre les airs, de découvrir d'autres vallées, de passer d'autres sommets.!ils rêvent qu'il vole comme un oiseau de feu. Il rêve de franchir la ligne d'horizon.
Nous sommes le peuple des lucioles. Un choeur comète, qui chante l'exception, un fait d'exception, «  il suffit qu'un atome bifurque légèrement de sa trajectoire parallèle pour qu'il entre en collision avec les autres, d'où naîtra un monde ». ( Lucrèce de la nature).
Nous sommes les graines du grenier dormant, nous sommes la rose de Jericho.
Une luciole disparait mais ne meurt jamais.Pour une luciole qui disparaît, mille autre sont déjà nouveaux nés. Avec l'expérience on le sait.
Ce n'est pas un événement, c'est un fait, quoique nous cache la Lumière, où que la Lumière nous dirige, nous ordonne d'aller, nous oblige, les lucioles survivent.
Les hommes lucioles ont existé, existent et existeront.
Ce sont des « mots lucioles » contre les mots « projecteurs ».
Des mots brillants contre les mots en plomb.
Des hommes debout contre les gens en plomb qui ne peuvent pas se lever, pas se soulever.
Un lueur pour soi, à vivre en « expérience intérieure » , une lueur pour autrui pour partager l'espoir de la vie.
Elles savent beaucoup de choses les lucioles, beaucoup.
Elles sont témoins, elles sont capables de dessiner le visage de nos demain, elles savent les fantômes, les morts, la peur et la la profondeur la terreur «  c'est le toucher au mort qui rend le rêve voyant » P.Fedida, crise et contre-transfert.
Elles savent le fracas du silence, l'absence la faim et le manque. Elle savent que la Gloire n'a rien de glorieux. Elles sont fortes. Jaillissantes, excédantes. Elles savent la joie, la route, et la main qui se tend et la parole qui écoute et l'ombre qui parle.
La luciole est comme l'homme. «  indestructible, et pourtant il peut être détruit. ( M.Blanchot «  l'espèce humaine » extrait ». Les lucioles le savent, c'est pour cela qu'elles sont importantes.
« Les lucioles, il ne tient qu'à nous de ne pas les voir disparaître.Or, nous devons pour cela, assumer nous-mêmes la liberté du mouvement, le retrait qui ne soit pas repli, la force diagonale, la faculté de faire apparaître des parcelles d'humanité, le désir indestructible.Nous devons donc nous mêmes- en retrait du règne et de la gloire, dans la brèche ouverte entre le passé et le futur- devenir des lucioles et reformer par là une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensée à transmettre.Dire oui dans la nuit traversée de lueurs, et ne pas se contenter de décrire le non de la lumière qui nous aveugle ».
Merci à Georges Didi-Huberman, merci à ces mots lucioles. En nous transmettant votre lueur d'espoir vous faites danser notre regard. Nous ne nous perdrons pas de vue.
« Oui, le veilleur devant sa flamme ne lit plus. Il pense à la vie. Il pense à la mort. La flamme est précaire et vaillante. Cette lumière, un souffle l’anéantit; une étincelle la rallume. » (Gaston Bachelard, la flamme d'une chandelle. )
Merci pour cette étincelle de vie.
« Le rêveur de flamme unit ce qu’il voit et ce qu’il a vu.
Il connaît la fusion de l’imagination et de la mémoire. » G. Bachelard.
Voyant sachant. Non, les lucioles n'ont pas disparu.

Astrid Shriqui Garain

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Pasolini se serait inspiré des lucioles de l'Enfer de Dante pour tisser toute une allégorie sur la résistance au sein des régimes politiques totalitaires. Tout régime serait totalitaire lorsque la petite lumière produite par les lucioles se laisserait recouvrir par les flashs surpuissants de ses projecteurs – projecteurs du fascisme, du spectacle ou de la surveillance. Didi approfondit si bien son sujet qu'on aura même droit à un cours sur les organes sexuels des lucioles, ceci sans doute afin de comprendre pourquoi Pasolini n'était pas loin de se branler sur ces insectes dans ses théories – de la part du réalisateur de Sodome, plus rien ne nous étonne, et c'est dans cette habituation que se loge notre pessimisme anti-révolutionnaire. Que Pasolini ait pu nourrir des pensées peu chrétiennes à propos de lucioles nous en touche l'une sans bouger l'autre.


Bon, Didi nous dit que tralaladidi et que Pasolini avec son désespoir des petites lumières de résistance qui se font phagocyter par les grosses a peu ou prou rejoint le courant des Walter Benjamin et des Giorgio Agamben qui assurent que la vie de l'homme moderne ne soutient la narration d'aucune expérience et que notre horizon est bouché. Didi nous dit qu'ils exagèrent les mecs, ils en font un peu trop, et sous couvert de vouloir lutter contre les machines totalitaires, ces prophètes du malheur entérineraient la mort des lucioles - de toute ces formes larvées de résistance, comme le veut la superbe métaphore. Sans doute savaient-ils, eux, que les petites lucioles ne rêvent dans le fond que de flashs aveuglants.


La philosophie, c'est bien quand c'est chiant (ainsi que l'illustre Didi) et méchant (mais pas trop longtemps), et ainsi ça ne devrait pas être réservé seulement aux pessimistes, aux dépressifs et aux suicidaires qui vont toujours trop loin dans la peinture du putride de notre monde, nous dit Didi. Didi appelle à la naissance d'une pensée qui ne se complaît pas dans les fanges de la morosité, tout cela dans un langage plat et terne qui ne permet pas de se rendre réellement compte de la portée a priori (selon lui) révolutionnaire de son message. « Dire oui dans la nuit traversée de lueurs, et ne pas se contenter de décrire le non de la lumière qui nous aveugle ». Didi aurait-il été le précurseur de la philosophie du développement personnel en histoire des idées ? Nous pourrions craindre que oui puisque son propos, à mesure qu'il tente de nous convaincre de la pertinence d'une forme de résistance joyeuse, finit de nous ôter tout espoir en la possibilité d'une vie intellectuelle.
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