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Sa bouteille de lait à la main, pieds nus sur le béton froid, elle scrutait la masse sombre de Central Park qui s'étalait une quarantaine de mètres plus bas.
Je n'ai jamais compris pourquoi les sirènes étaient sexy. Comment une créature sans sexe peut-elle être sexy ?
Je me suis laissée tomber comme une grosse créature aquatique échouée. Une sorte de sirène flasque. Je n'ai jamais compris pourquoi les sirènes étaient sexy. Comment une créature sans sexe peut-elle être sexy ?
L’origine de cette haine envers les dauphins restait floue pour Victoire. Elle savait que c’était lié à un souvenir. Ce souvenir n’avait pas disparu, mais elle l’évitait. Si le psychisme de Victoire avait été une maison, on aurait pu dire que ce souvenir y vivait, occupant tout l’espace la chambre, la cuisine, le salon, la salle de bains, le jardin. Et que Victoire se terrait, cachée dans une malle du grenier, sortant la nuit pour aller grignoter quelques restes dans la cuisine, faisant ses besoins dans un seau, pour être sûre de ne jamais, jamais croiser son souvenir.
Elle s’était sentie comme un vieux mouchoir quand ils s’étaient quittés. Ou comme une chaussette. Celle dans laquelle les garçons se branlent.
- Tu vois Rita ? Elle récupère les invendus de la boutique et elle va les revendre aux SDF sous le pont de l'autoroute. Normalement elle doit les arroser avec de l'eau de Javel mais elle les planque et elle les revend. Oh, pas grand chose, 1 ou 2 euros. Mais au bout du compte elle se fait vite 10 balles par jour. Et elle dit qu'elle fait ça par charité.
J'aime la nuit. Pas parce que l'obscurité dissimule le contour des choses et qu'elle dilue les âmes, abolissant les frontières entre l'être et le néant, ou tous ces trucs pseudo-poétiques à la con. J'aime la nuit. Point. C'est comme ça. C'est en moi depuis que je suis gamin.
(p. 42)
Elle a longé le restaurant fermé aux fenêtres hexagonales sur lesquelles étaient placardées des photos de boulettes sauce tomate et de frites. Délavées les photos, grises les boulettes, blanches les frites.
(p. 11)
Est-ce que les souvenirs peuvent survive autant d’années ? Ou finissent-ils par se réduire au récit qu’on s’en fait ?
Une station-service le long de l’autoroute. Une nuit d’été. Si l’on exclut toujours les cadavres, mais qu’on compte bien le cheval, il n’y a maintenant plus que onze personnes présentes à cette heure précise.
D’autres arriveront. Toutes repartiront. Ici on ne fait que passer.