Peterborough a bien changé. Je me souviens d'une ville calme dans les années 70, lovée autour de sa splendide cathédrale et de ses touristes venus de Londres et Cambridge. Entre cream teas et pubs typiques, la vie était douce. Il faut dire que l'environnement des Fens, ces terres agricoles conquises sur la mer, n'incitait pas à la violence.
Mais le monde change, pas toujours pour le meilleur, et Peterborough, dans une Angleterre confrontée à la montée des populismes et du pré-Brexit, connait de plus en plus de tensions entre communautés. Dès le début de
Haine pour haine (Tell no tales), l'inspecteur Dushan Zigic et le sergent Melinda Ferreira, l'un et l'autre enfants de l'immigration, doivent mener deux enquêtes de front, qui sont peut-être liées : une voiture a délibérément foncé sur des immigrés d'Europe de l'Est à un arrêt d'autobus, en tuant deux, et deux nouveaux venus d'origine africaine et iranienne ont été massacrés à coup de pieds par des néonazis. Et la liste s'allonge.
Deux affaires peu opportunes en cette période pré-électorale. D'une part l'English Patriot Party voudrait bien montrer une image présentable et son député Richard Shotton ne souhaite donc pas qu'un amalgame puisse être établi entre ces crimes et son parti. Quant à la police locale et à l'unité chargée des « crimes de haine » (c'est-à-dire motivés par l'intolérance fondée sur la race, la religion, l'orientation sexuelle, etc.), elle enquête avec les moyens dont elle dispose et son chef voudrait éviter de voir son efficacité mise en doute par la presse.
Du point de vue strictement du polar,
Haine pour haine est un excellent roman de procédure mêlant enquête de proximité, interrogatoires et police scientifique, avec juste ce qu'il faut d'action (une arrestation qui tourne au début d'émeute, des arrestations musclées…) pour assurer la crédibilité sans tomber dans la facilité. le thème est d'actualité : comme de nombreuses villes d'Angleterre et du Royaume-Uni, Peterborough est confrontée à des changements drastiques : emplois en baisse et paupérisation d'une partie de la population, désertification du centre-ville, émergence de quartiers ou de zones de non-droit, arrivée massive d'immigrés avec la montée des partis populistes et de leurs alliés objectifs de l'extrême-droite pour conséquence, tensions intercommunautaires.
Il faut donc un grand sens de la diplomatie et une certaine nonchalance (qui lui est parfois reprochée) à l'inspecteur Zigic pour louvoyer entre sa hiérarchie et les responsables politiques locaux tout en faisant face aux différentes communautés et à leurs réflexes de défense. Pas facile quand il faut en même temps modérer les ardeurs et les coups de colère de l'impétueuse Melinda Ferreira. Mais cela fait de
Haine pour haine un excellent roman plaçant la réalité sociale et politique britannique d'aujourd'hui au sein d'une intrigue complexe et tendue que les fausses pistes rendent plus prenante encore. Roman du rejet, il montre surtout que la haine de l'étranger n'est pas l'apanage des citoyens de souche (les « bons » Anglais contre les autres) mais que les émigrés fraichement arrivés peuvent aussi devenir les prédateurs d'autres étrangers. Bref, personne n'en sort vraiment grandi.
Après
Les chemins de la haine en 2014
Eva Dolan, propose avec
Haine pour haine un deuxième roman mettant en scène le duo Zigic/Ferreira (deux autres, non encore traduits en français, ont été publiés en Angleterre) et s'affirme déjà comme un auteur majeur de la nouvelle génération, dans la tradition d'un
Ian Rankin.
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