Chacun d'entre nous a ses lacunes, personne ne peut se vanter d'avoir tout lu. le roman de
Roland Dorgelès manquait à ma culture. Voilà, enfin c'est fait, et franchement, j'ai honte d'avoir attendu si longtemps...
Parce que c'est un sacré roman,
Les Croix de Bois. Un livre écrit à chaud, un an après la fin de la guerre. Quand le temps d'enjoliver la mémoire n'a pas encore pu faire son oeuvre. J'ai passé une vingtaine de soirées en compagnie des poilus, les gars de la base, les sans grade, ceux que l'État-major envoyait au casse-pipe se faire étriper sans trop de scrupules. Les paysans, les ouvriers, les artisans ; et parmi eux quelques personnes plus intellectuelles mais qui partageaient la même galère. Certes, les personnages sont fictifs, mais tellement inspirés de la réalité qu'on se doute bien que
Dorgelès n'a en fait rien inventé et il a rendu la terrible et crue réalité de ce qu'il a vécu. L'enfer qu'ont subi ces types est inimaginable. Car il y a bien entendu les combats, les bombardements, les obus, les torpilles, les grenades ; les blessures, les agonie, les morts, les copains qui crèvent les uns après les autres. Mais même pendant les moments d'accalmie, c'étaient la pluie, le froid, la boue, la glaise, ou alors le soleil qui abrutit, la soif, la faim. Et pour tenir, le tabac, le vin, la goutte, l'alcool, au centre de toutes les préoccupations.
Il y a aussi les caractères des personnages qui reflètent la société dans sa diversité : les courageux, les peureux, les inconscients, les téméraires, les grandes gueules, les attendrissants, les timorés, certains effacés qui se révèlent devant le danger.
Il y a encore la stupidité de certains ordres, on assiste à des scènes de massacres inutiles, et l'on sait que ce sera bientôt son tour, malgré tout. La connerie de la guerre éternelle et universelle.
On ne peut s'empêcher de penser que quelque part en Ukraine, au moment même où j'écris ces lignes, se déroulent encore et toujours les mêmes horreurs. C'est à désespérer du genre humain, quand on y songe. Alors qu'en 1919, on parlait de « la der des der », et qu'on disait « plus jamais ça! »... On connaît la suite.
Cet ouvrage m'a donné envie de relire «
la Peur », de
Gabriel Chevallier (l'auteur de
Clochemerle), qui traite du même sujet, mais dans lequel le sentiment de peur en est le thème central.