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« Alexandre Grothendieck - Sur Les Traces du Dernier Génie Des Mathématiques » de Philippe Douroux est une bibliographie du mathématicien Alexandre Grothendieck (1928-2014), qui a refusé la Medal Fields en 1966, ainsi que le prix Crafoord en 1988, tous deux équivalents au prix Nobel (2016, Allary, 272 p.). On pourra lire en parallèle le livre de Leila Schneps « Alexandre Grothendieck : A Mathematical Portrait » (2014, International Press of Boston, 307 p.). Il s'agit de treize portraits de personnes qui l'ont connu et côtoyé, qui éclairent, chacun à leur façon, un côté différent de l'homme ou du collègue.
Grothendieck est généralement considéré comme le refondateur de la géométrie algébrique, c'est-à-dire des objets géométriques (courbes, surface) composés des points dont les coordonnées suivent des équations simples. Cette branche des mathématiques n'a désormais plus grand-chose à voir avec la géométrie analytique dont les objets sont décrits par des équations ou des inéquations et dont elle est en partie issue. Par exemple, le mathématicien persan Omar Khayyam (1048-1131) propose une méthode de résolution des équations cubiques par intersection d'un cercle et d'une parabole. Grothendieck est considéré comme étant le mathématicien le plus important du siècle.
Il met en évidence le lien caché entre les propriétés analytiques et topologiques d'une variété, courbe de dimension 1 ou surface de dimension 2, ou espace topologique de plus grande dimension. C'est une relation entre les nombres et les figures. Par la suite, il s'attaque à la topologie, reliant pour la première fois géométrie algébrique et théorie algébrique des nombres pour définir la correspondance qui permet de transformer une figure dans l'espace en une autre équivalente, ou homologie.
Je n'en dirai pas beaucoup plus sur ces notions de topologie, pour cause de vocabulaire spécifique, et spécifiquement hermétique. J'ai déjà beaucoup de mal pour traduire en langage vernaculaire ce qui n'est pas mathématique, c'est-à-dire les autres écrits de Grothendieck, et il y en a.
Il existe parfois des coïncidences, ou des rencontres heureuse qui surprennent. Depuis un temps certain, j'avais téléchargé « Récoltes et Semailles », un pavé de quelques 2000 pages du mathématicien Alexander Grothendieck (2023, Gallimard, 1506 p.). Je connaissais ses travaux, ou plutôt leur renommée, car leur lecture et leur compréhension me laissaient pantois, même avec un dictionnaire à portée. Donc j'avais une certaine idée du personnage. Idée un peu sommaire de par la fréquentation de l'Institut de Mathématiques à Strasbourg, dont l'Institut de Physique du Globe (IPGS, maintenant EOT) partageait les bâtiments. Puis à Nancy, où s'est développé une recherche fructueuse du groupe Bourbaki, et Montpellier, pour y passer ma thèse d'Etat et où le mathématicien s'était retiré. En fait, je connaissais plus ses frasques que ses théories, quelquefois à la limite du mysticisme comme « La Clef des songes : ou dialogue avec le bon Dieu » (1987, Université Paris 6, Grothendieck Circle, 1027 p.). Plus récemment, j'ai essayé de comprendre ce qui poussait à la créativité, et il s'avérait à nouveau nécessaire de lire le passionnant livre de Joseph Rouzel, « La folie créatrice. Alexandre Grothendieck et quelques autres » (2016, Editions érès, Toulouse, 150 p.). C'était sans compter sur une littérature plus romancée que je découvrais au hasard de mes visites chez les libraires. C'est ainsi qu'à Toronto, je fus attiré par un livre de Benjamin Labatut, chilien d'origine, « When We Cease to Understand the World » (2020, New York Review Books, 192 p.). Il été récompensé par un « 2021 International Booker Prize ». Je me suis aperçu plus tard que le livre avait été traduit en français par Robert Amutio, le traducteur de Roberto Bolaño, sous le titre de « Lumières Aveugles » (2020, Seuil, 228 p.). Il y était à nouveau question de mathématiciens dont Grothendieck, de Shinichi Mochizuki et autres spécialistes de la physique quantique, comme Heisenberg et Schrödinger. J'ai donc commencé à (re)lire « « Récoltes et Semailles ». Puis il y eut les deux volumes de Cormac McCarthy « le Passager » (2023, Editions De l'Olivier, 544 p.) suivi par « Stella Maris » (2023, Editions De l'Olivier, 544 p.), tous deux traduits par Serge Chauvin. Cet auteur américain était également administrateur (trustee) au Santa Fe Institute (SFI), établissement de recherches assez débridées, plutôt originales, et hors des chemins battus, en particulier en pointe sur les cartes cognitives des insectes. Dans ces deux romans, il est question de Alicia Western mathématicienne, spécialisée en topologie, fervente élève de Alexander Grothendieck, à l'Institut de Hautes Etudes Scientifiques (IHES) de Bures-sur-Yvette. Les débuts sont difficiles pour l'IHES, calqué sur le prestigieux « Institut for Advanced Study » (IAS) de Princeton, NJ, entre New York et Philadelphie. Grothendieck intègre l'IAS, fondé par Léon Motchane en 1958, après avoir fait partie du groupe Bourbaki à Nancy « où ils ont fini par ne plus pouvoir le suivre ». Dans « Stella Maris », Alicia Western enregistre ses conversations avec son thérapeute. Elle a besoin de raconter l'histoire de toute une famille tourmentée, peuplée de créatures chimériques et de de caractères forts. On y trouve la grand-mère qui l'a élevée. Ainsi que le mathématicien Alexandre Grothendieck qui est son mentor. le tout avec en fond de toile l'implication de son père dans le projet Manhattan, alors qu'il développe la bombe atomique avec Oppenheimer. A force de coïncidences pareilles, on pourrait m'appliquer ce titre d'un petit opuscule de Malcolm Lowry « le feu du ciel vous suit à la trace, Monsieur ! » (2012, La Nerthe, 58 p.).
Attiré par les références à Alexandre Grothendieck, il faut lire « Récoltes et Semailles », sous-titré « Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien », publié sous forme d'un coffret en deux volumes (2022, Gallimard, 1212 p.). C'est quelquefois ardu à lire, surtout lorsqu'il invoque une « K-théorie, relation à la théorie des intersections », une « Topologie modérée » accompagnée de « Yoga de géométrie algébrique » ainsi qu'une « Cohomologie étale et l-adique ». le coffret de plus de mille pages s'ouvre sur une critique acerbe de l'éthique des mathématiciens, et se poursuit par la narration d'une expérience spirituelle après une initiation à l'écologie radicale.
La lecture des écrits de Alexander Grothendieck n'est pas de tout repos, étant donné qu'il doit y avoir en tout quelques 20 000 pages. Les « Archives mathématiques d'Alexandre Grothendieck de 1949 à 1991 » de l'Université de Montpellier totalisent à elles seules 18 000 pages, souvent manuscrites. Il faut y ajouter « La Clef des songes : ou dialogue avec le bon Dieu » (1987, Université Paris 6, Grothendieck Circle, 1027 p.), « Récoltes et Semailles. Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien » en un coffret de 2 volumes (2022, Gallimard, 1993 p.). le premier ouvrage est assez curieux, mêlant création et religion. Parfois, on suppose que c'est uniquement une question de vocabulaire, alors que dans d'autres passages, la distinction est plus subtile. Les 2 volumes suivants mêlent théories mathématiques et pour partie création.
On en arrive à la biographie de Philippe Douroux, journaliste à « Libération ». Quelle déception. Je pensais que le journalisme d'investigation pouvait être une chose sérieuse. Quelle désillusion. Mais, sans doute s'agit-il d'une géométrie non euclidienne, celle pour « voyager dans la Voie Lactée ». Les parallèles qu'il trace se recoupent et sont redondantes. Un tiers du livre est consacré à la période allemande, alors que ses développements mathématiques couvrent les années 1958-1970. On y apprend aussi, sur le quatrième de couverture, que « ses travaux ont permis, entre autres, le développement d'Internet » ainsi que « le numérique et le téléphone portable » (p.14). Et rien sur ChatGPT, ou sur le mouvement rétrograde de Pluton ?
Je dois admettre que j'avais besoin d'un ouvrage un peu neutre pour introduire l'oeuvre magistrale de Grothendieck. Pour neutre, il fut neutre. En théorie des nombres, il serait même négatif. Pratiquement 300 pages pour apprendre que Grothendieck était finalement un émigré, « enfant d'une famille de révolutionnaires d'Europe centrale », tout juste arrivé, peut-être de Lampedusa, il fallait oser le faire. Et c'est un quasi bolchevique, avec encore le couteau entre les dents. C'est sans doute ce que l'on retient de Sciences Po, version CAFéS.
Donc, j'ai très vite abandonné la lecture même de ce semblant de bibliographie pour reprendre d'autres éléments qui me semblaient plus cohérents. On en apprend plus dans différents articles qui lui sont consacrés. Maintenant que le mathématicien a découvert Internet, le journaliste doit apprendre à s'en servir.
De fait, Alexandre Grothendieck arrive en France en 1939, connaît les camps d'internement et trouve un refuge avec les mathématiques qui deviendront son royaume. À onze ans, il découvre comment calculer la circonférence du cercle et le volume de la sphère. Cependant, son problème n'est pas le comment, mas le pourquoi de ces calculs, surtout si on ne connait qu'un nombre fini de décimales pour pi (3.1416, ce qui est forcément erroné).
Un père d'origine hassidim, Alexandre Shapira, né à Belyje-Berega, aujourd'hui russe, à la limite de la Russie, de la Biélorussie et de l'Ukraine. Proche des milieux révolutionnaires, il participa à la révolution avortée de 1905 contre les tsars. Cela lui valut 10 années de prison, d'où il n'est libéré qu'à l'occasion de la révolution de 1917. Il s'avère que le père a fait de la prison politique sous 17 régimes différents. le fils Alexandre, est né à Berlin, en 1928, où il vit avec sa mère Hanka. Après la victoire franquiste en Espagne, le père rejoint sa femme Hanka et leur fils Alexander, réfugiés en France. C'est un homme brisé, selon le témoignage du fils. Il se laisse aller sans beaucoup de ressort. Comme tant d'autres réfugiés antifascistes, émigrés d'Allemagne ou d'Espagne, il est interné, début 1939, au camp du Vernet. Il sera ensuite livré par les autorités de Vichy aux nazis, et disparaitra à Auschwitz.
Sa mère, Hanka, est une Allemande du Nord. Dans les années 20, elle milite dans divers groupes d'extrême-gauche et s'essaye à l'écriture. En septembre 1939, la mère et le fils seront internés à Mende, et auront un peu de répit lors de leur séjour au Chambon-sur-Lignon, de 1942 à 1944. C'est au Collège Cévenol, dirigé par le pasteur Trocmé, et centre d'une résistance spirituelle au nazisme. Il devient étudiant à Montpellier en 1945.
Il commence une thèse et découvre qu'il est mathématicien sans savoir qu'il existe des mathématiciens. Il reconstitue, seul, une version extrêmement générale de l'intégrale de Lebesgue. Ce dernier définit le problème par analogie avec la réunion d'une certaine somme. Soit on procède avec un porte-monnaie infini et on en sort les pièces de façon aléatoire jusqu'à arriver à la somme. C'est l'intégrale de Riemann. Soit, on sort toutes les pièces d'un seul coup et on les choisit selon leur valeur. C'est la méthode de Lebesgue. Demandez à votre caissière de supermarché quel est son mode de règlement préféré, vous en déduirez si elle est de variété Riemannienne ou de Lebesgue. Cela permettrait à « Libération » de tirer un article sur l'influence de Grothendieck dans la suppression du ticket de caisse.
C'est à son arrivée à Paris en 1948, licence de mathématiques en poche, que commence la période publique de Grothendieck. Il va à Nancy où Jean Delsarte, un des membres fondateurs du groupe Bourbaki, a noyauté la Faculté dont il est le Doyen pour investir l'Université. Jean Dieudonné et Laurent Schwartz l'aideront à canaliser Grothendieck pour qu'il ne s'éparpille pas. Les 10 ans qui suivent coïncident avec l'apogée de Bourbaki.
En 1970, Léon Motchane crée l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques (IHES) de Bures-sur-Yvette. Homme d'affaires, il rêvait d'être mathématicien et offre la chaire à Jean Dieudonné, à condition de s'associer avec Grothendieck. Ce dernier formule un programme grandiose, qui doit opérer une fusion de l'arithmétique, de la géométrie algébrique et de la topologie.
Alexandre Grothendieck décrit dans « Récoltes et Semailles » la genèse de cette première oeuvre mathématique. Elle est faite dans l'isolement. La mathématique de Grothendieck en géométrie algébrique comporte plus de 10 000 pages manuscrites, publiées en deux séries. La première est intitulée « Eléments de Géométrie Algébrique » (EGA) en référence aux « Eléments » d'Euclide (1960, Publications mathématiques de l'IHES, tome 4, 228 p.). Rédigée entièrement par Jean Dieudonné, elle reste inachevée, seules, 4 parties ont été rédigées sur les 13 annoncées. La seconde série « Séminaire de Géométrie Algébrique » (SGA) est composée en 7 parties, éditées en partie par Pierre Deligne et Luc Illusie lorsque Grothendieck décide de se retirer (1977, Springer, Lecture Notes in Mathematics, #589, 496 p.).
Après 1970, la fête est finie, les évènements de 1968 sont passés par là. Il s'isole dans sa superbe. « J'étais le seul à avoir le souffle, et ce que j'ai transmis autour de moi, ce n'était pas le souffle, mais la tâche. J'ai eu des tâcherons autour de moi, mais aucun d'entre eux n'a eu vraiment le souffle ! ». Il refuse tout contact, vivant en marge de la société.
Grothendieck est devenu un mandarin qui en impose à ses étudiants. Finalement, il se retire dans un exil intérieur dans un petit village de l'Ariège où il est vu comme un « professeur de mathématiques en retraite un peu fada ».
Dans « Récoltes et Semailles », sous-titré « Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien », (1983-1986). Il groupe son oeuvre en douze thèmes principaux dont les premiers sont ceux de sa thèse.
« 1. Produits tensoriels topologiques et espaces nucléaires.
2. Dualité "continue" et "discrète" (catégories dérivées, "six opérations").
3. Yoga Riemann-Roch-Grothendieck (K-théorie, relation à la théorie des intersections).
4. Schémas.
5. Topos.
6. Cohomologie étale et l-adique.
7. Motifs et groupe de Galois motivique (⊗-catégories de Grothendieck).
8. Cristaux et cohomologie cristalline, yoga "coefficients de de Rham", "coefficient de Hodge". . .
9. "Algèbre topologique" : champs, dérivateurs, formalisme cohomologique des topos, comme inspiration pour une nouvelle algèbre homotopique.
10. Topologie modérée.
11. Yoga de géométrie algébrique anabélienne, théorie de Galois-Teichmüller.
12. Point de vue "schématique" ou "arithmétique" pour les polyèdres réguliers et les configurations régulières en tous genres ».
La période qui suit est marquée par un poste à l'Université de Montpellier, jusqu'à sa retraite en 1988 et le déménagement dans u village de l'Hérault. Il écrit d'autres ouvrages qui seront pour partie publiés dans des revues scientifiques. Ainsi, « Esquisse d'un programme » est un document d'une cinquantaine de pages, écrite à l'origine pour obtenir un poste au CNRS, dans lequel il expose une stratégie de recherche visant à à développer les théories d'Evariste Gallois. « Geometric Galois Actions” (1997, London Mathematical Society, Lecture Notes #242, Cambridge University Press, 48 p.). « À la poursuite des champs » consiste en un document d'environ 600 pages dans lequel Grothendieck a introduit la notion de champ algébrique, qui débouche sur la rédaction du manuscrit « Les Dérivateurs » (1991, Université de Paris 6,1976 p.) anticipant la théorie de l'homotopie, qui sera développée plus tard. En mai 2017, l'université de Montpellier rend ainsi publiques les notes de Grothendieck, soit quelque 18 000 pages de notes manuscrites réparties dans 35 boîtes d'archives. Parallèlement, il publie « La Clef des songes : ou dialogue avec le bon Dieu » (1987, Université Paris 6, Grothendieck Circle, 1027 p.) dans lequel il définit ce qu'est pour lui la notion même de liberté, la vérité ou la relation à Dieu.
La dimension religieuse de sa vie est une part importante du personnage. II a eu des moments d'hallucination visuelle et auditive, décrivant ces apparitions divines et parlant de cantiques qu'il chante avec ses deux voix simultanées, la sienne et celle de Dieu. Grothendieck ne s'est jamais rattaché au judaïsme, contrairement à son père, hassidique. Il dit s'inscrire dans une tradition bouddhiste. Une de ses obsessions est liée à la nourriture. Il pratique alors une forme extrême de végétarisme, reliant les deux traditions, juive et bouddhiste. Sa propre Trinité se compose de Dieu-le-Père, « le bon Dieu », de la déesse-mère, et du diable, se lançant dans la rédaction d'un ouvrage sur l'action du diable dans le monde.


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Un livre dont le sujet aurait pu être intéressant.

Le journaliste (Télérama Libération) s'est très certainement intéressé marginalement à la vie de Grothendieck et on y apprend quelques anecdotes sur ce dernier. Mais quelque chose d'amer vous reste dans la gorge à la fin de la lecture ce roman de moeurs.

Dissimulé derrière une critique du régime de Vichy et du système administratif “déshumanisant”, se dessine sournoisement un inébranlable mépris de la France à grand coup d'auto-culpabilisation pavlovienne. Grothendieck, le fils de marxistes révolutionnaires, l'homme libre, à qui les méchants Français refusent tout. Il est vrai qu'après avoir été admis à l'école française, étudié à l'université française, puis enseigné à l'université française dans des conditions de liberté totale (passage à l'IEHS) pour enfin s'assurer une place au Collège de France, le tout sans aucune espèce de ressources d'une quelconque nature, la conclusion appropriée consiste en effet à admettre de manière unilatérale que la France a cruellement manqué à son devoir d'accueil, et qu'il aurait été préférable de demander asile en Corée du Nord ou au Libéria.

Une aubaine aussi pour le journaliste que le père de Grothendieck ait été déporté. Qui plus est depuis la France. Plusieurs chapitres peuvent donc être consacrés, en toute légitimité, au traditionnel “rappel historique” digne de tout bon article des quotidiens sus-cités. le chapitre “Le convoi n°19, une horreur française” (qui fait écho au tristement célèbre numéro de Libération “Antisémitisme, une histoire française“) raconte dans le détail l'envoi en camp de concentration du père. Père que Grothendieck n'a d'ailleurs jamais vraiment connu, ce dernier ayant été abandonné à son plus jeune âge. le journaliste prend le lecteur pour son auditoire habituel: un troupeau à rééduquer matin, midi et soir. le vice est poussé jusqu'à rappeler, à propos de l'expression “l'école de mathématiques françaises” (qui désigne avant tout un ensemble de chercheurs français et d'institutions françaises) que les mathématiques n'ont rien de françaises et qu'elles sont universelles. Pourquoi d'ailleurs ne pas remplacer les très inintéressants détails sur les démêlés administratifs qu'a connu Grothendieck pour obtenir sa nationalité française par un chapitre sur “l'école de mathématiques aborigènes” ou “l'école de mathématiques massaïs” afin de bien rappeler le caractère universel de cette discipline d'exception?

Après 4 années à étudier un sur-homme, un pur produit de l'exceptionnel Europe, 4 années à côtoyer des mathématiciens de génie, il devient, on l'imagine aisément, difficile de continuer à s'assurer et à pérorer que l'intelligence est une matière qui obéirait au très fantasque axiome de répartition équitable. D'autant que Grothendieck n'est pas vraiment né dans une famille bourgeoise: l'argument socio-économique devient dès lors tout à fait caduque. Mais le journaliste de Libération trouve néanmoins une parade pour rester dans le camp du Bien qui en serait comique si cela n'impliquait pas tant de complications pour notre futur: Grothendieck, Européen blanc, fruit d'un russe et d'une allemande devient… un “migrant” (sic). Les derniers mots de ce long article vendu en format livre parlent d'eux-mêmes: “Une vingtaine de réfugiés irakiens, syriens ou nés dans la corne de l'Afrique ont été accueillis rue d'Ulm, à l'Ecole normale supérieure, afin de reprendre leurs études interrompues par la guerre, la faim ou la misère. Et il se murmure que parmi eux se trouverait un mathématicien hors norme, un enfant venu d'Alexandrie, de la trempe de ceux qui pourront un jour donner vie aux gribouillis de l'ermite de Lassere. Un nouveau Grothendieck surgira bien un jour.” Joli fable certes mais raisonnons un moment sur le concept “d'études de mathématiques supérieures dans la corne de l'Afrique interrompues par la misère” et visualisons ces messianiques Somaliens étudiant les mathématiques de haut niveau, la physique quantique et la philosophie nietzschéenne, avant d'être interrompues dans leur élan créateur par “La Misère”…

Malgré une référence (page 243) aux attentats du Bataclan en 2015 (Oussama Atar, Salah-Eddine Gourmat, Sammy Djedou, Salim Benghalem, Bilal Hadfi, Ammar Ramadan Mansour Mohamad al Sabaawi, Mohammad al Mahmod, Brahim Abdeslam, Chakib Akrouh, Abdelhamid Abaaoud, Foued Mohamed-Aggad, Ismaël Omar Mostefaï, Samy Amimour; pour information ce ne sont pas le nom des victimes), le journaliste nous rappelle, au cas où ce ne serait pas clair, que l'immigration reste une chance pour la France.

Le gauchisme est définitivement une maladie mentale qui vous suit partout et ne se soigne pas si facilement.
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