La vie me fait peur (1994) m'a bien plu car il comporte plusieurs ingrédients de la « cuisine littéraire » de l'auteur : le prénom Paul pour le personnage principal, Toulouse en toile de fond ainsi que l'Amérique du Nord, des informations bien fournies sur les voitures, de l'humour, de la réflexion, quelques morts violentes, les tondeuses à gazon, et une histoire qui se tient bien.
Oui, la vie fait peur à Paul Siegelman, un dilettante dans toute sa splendeur, d'un nonchaloir biblique selon Dubois. Il ne finit pas ses études et part rouler sa bosse sept années aux EEUU où il va pratiquer divers jobs pour survivre. Puis il rentrera en France où son père, un farfelu patenté, gère une affaire de tondeuses à gazon et attend le fiston pour qu'il prenne les affaires en main. le problème est que Paul ne veut pas, il s'en sait incapable. Comme le hasard fait bien les choses, il va croiser une jeune femme qui est son antithèse et il va l'épouser. Cette jeune femme est américaine, fille de chirurgiens, riche et brillante. C'est elle qui va prendre l'affaire du beau-père à la façon énergique des businessmen d'Amérique du Nord pendant que Paul reste le parfait glandu et que à 44 ans la vie lui fait peur, bien sûr, puisqu'il a tout raté avec son parcours stochastique (synonyme d'aléatoire, chic un nouveau mot).
Ceci est en gros la trame de ce roman mais en fait, il apporte beaucoup plus que l'histoire autour du mollasson Paul Siegelman. Les rapports entre les gens sont très bien vus, ainsi que le milieu de affaires ici ou en Amérique. Il y a une foultitude d'anecdotes et de réflexions qui font de cette lecture quelque chose d'intéressant et par moments, très drôle : un régal dans la plus pure veine duboisienne. Et quelles descriptions drôles il nous sert, par exemple celle de l'ami Gaetan di Falco …sa crinière vaincue par une calvitie foudroyante, laissait maintenant apparaître un crâne bosselé entouré d'une fine bande de cheveux taillés court, et entretenus comme une bordure de jardin. Sa stature, elle aussi, s'était modifiée. Gaetan n'avait plus aucune allure, on l'aurait dit tassé, envasé dans l'embonpoint. Quant à son visage, il était gras, rosacé comme un mauvais pâté…et au sujet de son épouse Sophia: c‘était une femme séduisante, mince et d'apparence si fraîche qu'elle semblait sortir d'un réfrigérateur. Sa peau aussi fine qu'une pellicule de yoghourt, avait quelque chose de lacté. Ses jambes sèches et nerveuses lui donnaient une démarche juvénile.
Aussi, l'auteur Dubois nous sert des phrases de désenchantement sur l'amour émanant de son profond spleen. J'en ai noté quelques unes…toute femme a, au moins une fois durant sa vie, souhaité la mort de son mari, préférant la franche solitude du veuvage à l'indifférence mutilante du conjoint. Oui, fatalement, tout homme a partagé ces mêmes pensées. Et peut-être les deux au même moment. Parce qu'au fond, le deuil est la seule séparation qui soit propre, nette, qui tranche le différend de manière neutre, indiscutable. L'un disparaît, le survivant peut allonger ses jambes…A quoi bon défaire un vieux couple pour reformer aussitôt un couple de vieux ?…parce que je ne crois pas plus en l'amour qu'aux prévisions météorologiques à dix jours. J'ai foi en un certain nombre de choses, comme la patience, le respect, le silence et même le mensonge. Mais je me défie de l'amour, ce sentiment hallucinogène éphémère qui paralyse l'esprit, et vous laisse ensuite pour mort, dans la posture de l'électrocuté…
Un bon cru débordant de cynisme.
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