Citations sur Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon (474)
La prison nous avale, nous digère et, recroquevillés dans son ventre, tapis dans les plis numérotés de ses boyaux, entre deux spasmes gastriques, nous dormons et vivons comme nous le pouvons.
"Je sais qu'un Franco-canadien qui se respecte et aspire à un peu de paix et de dignité sur cette terre ne devrait jamais dire - ni même penser- ce que je vais écrire: en matière d’hymne national, nul ne peut rivaliser, car où qu'il se joue et quelle qu'en soit la cause, le God Save The Queen fera toujours regretter à chacun de n' être pas anglais."
La détention allonge les jours, distend les nuits, étire les heures, donne au temps une consistance pâteuse, écoeurante. Chacun éprouve le sentiment de se mouvoir dans une boue épaisse d’où il faut s’extraire à chaque pas, bataillant pied à pied pour ne pas s’enliser dans le dégoût de soi-même. La prison nous ensevelit vivant.
Ce jour-là, comme de la mauvaise bile, une phrase tourna toute la journée dans ma bouche, elle disait ce qu’elle avait à dire, et recommençait, puis se répétait encore.
Tu sais, quand je lis des trucs comme ça, sur l’histoire des banques et tout le merdier qu’il y a autour, je me dis souvent qu’il y a tellement de choses que je comprends pas dans tous ces machins d’économie, de politique, que c’est pas la peine que j’insiste, j’ai pris trop de retard. D’autres fois, c’est le contraire, j’essaye de m’accrocher, de me dire que plus je sais de trucs, moins ils pourront me la faire à l’envers, pour voter, ou pour placer mon argent. D’un autre côté, en ce moment le problème est réglé, j’ai pas un radis.
Ils vieillissaient. Tous n'en mouraient pas, mais tous étaient atteints.
p 176
Tout ce que l'on voyait, du sol au plafond, ce qui tintait ou brillait, n'avait pas été édifié pour célébrer un Dieu, mais bien pour témoigner de l’œuvre du clergé, du règne, de l'orgueil et de la puissance de Rome.
( p 100)
J'aurais aimé que ces flâneries aériennes durent des siècles pour avoir le temps de tout voir d'en haut, les arbres et les eaux, les terres et les animaux. On avait l'impression de vivre au-dessus d'un monde sans fin, qui déroulait à l'infini le catalogue de ses beautés. Tout était vaste, le ciel, l'eau, les forêts dont on devinait qu'elles grouillaient d'une invisible vie sauvage que nous avions un jour quittée pour vivre dans des maisons de six niveaux (...) Ce que je voyais de cet avion n'appartenait à personne, ni à un homme ni même à deux. Et qu'en aurait fait un pays ? C'était un monde où l'on ne trouvait ni reine ni syndic. (p. 186-187)
Juchés sur des pelleteuses capables de rayer les cieux, leurs descendants fouillaient aujourd'hui dans les vestiges de leurs origines, grattant les strates accumulées, comme des chiens de métal avides de retrouver un os enfoui.
Ma vie d'avant, celle que je menais lorsque j'étais debout à la barre de l'Excelsior (...)
Cette vie-là n'existe plus, et lorsque les portes de la prison s'ouvriront à nouveau pour moi, je me retrouverai sur le trottoir, devant le numéro 800 du boulevard Gouin, à devoir choisir une direction, et poursuivre ma peine incompréhensible sous une autre forme. (p. 89)