Pierre Joubert a 20 ans en 1941. Ses parents, communistes convaincus entrés dans la clandestinité, organisent son décès pour l'entraîner dans la résistance communiste. Sans grande conviction politique, il rejoint le maquis pour ne pas rester immobile et attentiste. Il prend alors sa part de l'attente, de l'ennui, des rencontres furtives de gens qu'on ne reverra pas, d'amitiés sans lendemain, de relations sans passion, ni même amour, des déplacements incessants et des lits d'un soir, des réveils brutaux et précipités, de la peur et de l'action. Pierre vit la structuration des réseaux, se fait une réputation et progresse dans les tâches action /recrutement /renseignement. On suit sa fuite en avant, de groupuscule en groupuscule, pour être plus efficace, et sa participation à un réseau monté par les Anglais (qui se méfient des groupes gaullistes) dans la surveillance rapprochée d'une base de U-boats. Il est alors au contact de l'ennemi, dans le bar de la base où échouent les sous-mariniers à quai. L'ennemi ? Des hommes comme les autres, avec leur amitié, leur chaleur, leurs peurs, leurs amours. Simplement des hommes ! Très différents des SS, des gestapistes, et des miliciens, qu'il a jusqu'ici rencontrés.
Et il y a Mila. Chef de réseau, dont il tombe amoureux. Mais c'est la guerre secrète avec les dangers de ce genre de combat! Il ne faut pas s'attacher.
Et puis le débarquement, la libération, l'heure des comptes et des luttes intestines pour le pouvoir. Et la reprise de la vie "normale". à la recherche de Mila, même si d'autres parts de son passé moins intéressant à ses yeux l'ont rejoint plus vite.
Marc Dugain change de guerre. Après la "Grande Guerre" et ses gueules cassées ("
La Chambre des Officiers"), il nous entraîne dans la guerre de l'ombre avec tout autant de justesse et de bonheur narratif. L'histoire des réseaux de la résistance est tout à l'image que je me fais de cette période et de ces hommes. Les personnages de Dugain ont comme toujours beaucoup de caractère et de dimension. Les partisans ne sont pas des surhommes, mais des gens ordinaires qui mènent un combat extraordinaire (littéralement). Les militaires allemands sont mis au rang d'hommes, effarés du comportement des nazis, emportés malgré eux dans cette guerre qui les tue. Et puis la justesse du jugement de Dugain sur cette période troublée de notre histoire, avec tout le recul de quelqu'un qui n'a pas connu cette période, est étonnante. Il dépeint notamment la libération avec une lucidité terrifiante et un réalisme cru (le chapitre où Pierre est confronté à l'Administration pour recouvrer sa véritable identité, est à hurler de rire, malgré la bêtise qui suinte !) qui rejoignent certains écrits de
Lucien Bodard sur la même période (Le corbillard de Jules).
Et puis Dugain dénonce de façon bien sentie de nombreuses dérives, notamment à la libération. Par exemple, pourquoi cette Française, enceinte d'un marin allemand qu'elle aimait, est-elle tondue par des gens qui ont vécu terrés, supportant passivement l'occupant, sans broncher ? Pour "propager l'idée que chacun d'entre nous avait été un résistant qui s'ignorait" ? Et les juges qui appliquent la loi des libérateurs "avec la même bonne volonté que celle qui les guidait quelques semaines auparavant dans l'application des lois antijuives".