Faut-il croire la sagesse populaire ? Quand un dicton nous dit « Tel père, tel fils », un autre nous dit, avec le même sérieux et la même imparabilité « A père avare, fils prodigue ». Faudrait savoir ! La vérité est sans doute entre les deux.
Ce n'est pas chez les Dumas que nous nous trouverons les bonnes réponses : si le père et le fils se ressemblent par certains côtés, ils diffèrent totalement par d'autres. En littérature ils se succèdent : c'est quand le père commence à baisser que le fils commence à monter. Mais leurs talents sont très divergents : le père a excellé dans tous les genres où il s'est engagé, théâtre , roman,
nouvelles, essais historiques, mémoires, récits de voyages… ; le fils s'est fait un nom grâce à un roman porté au théâtre, (c'est son meilleur titre de gloire), et quelques pièces où la critique sociale, réelle, s'efface derrière une moralisation très bien-pensante : « Toute littérature qui n'a pas en vue la perfectibilité, la moralisation, l'idéal, l'utile en un mot, est une littérature rachitique et malsaine, née morte ».
Heureusement, il y a eu «
La Dame aux camélias » ! Au départ, c'est un roman (1848), qu'il décide de porter lui-même au théâtre en 1852. L'histoire est née de la convergence de deux sources : une expérience personnelle, et un souvenir littéraire : l'auteur se réfère à une liaison malheureuse, quelques années plus tôt, avec une demi-mondaine, Marie Duplessis, dont la destinée est exactement celle de Marguerite Gautier,
la Dame aux camélias. La référence littéraire, c'est Manon Lescaut, de l'abbé Prévost : souvenez-vous : Des Grieux renonce à tout pour suivre sa bien-aimée en Amérique. Ici c'est Marguerite qui renonce à tout pour aider
Armand Duval : même scénario, donc, juste inversé.
Marguerite Gautier est donc une de ces jeunes femmes « entretenues », qui vivent de leurs charmes. Son truc à elle, c'est le camélia ; camélia blanc (« Viens mon loup »), camélia rouge (« casse-toi… vous m'avez compris). Elle s'entiche d'
Armand Duval, un de ses amis proches (disons ça comme ça) et par amour va jusqu'à renoncer à sa vie agitée pour mieux se consacrer à l'homme de sa vie. Mais le père de celui-ci arrive à la persuader qu'elle fait le malheur d'Armand, la contraint à la rupture. Armand croit qu'elle est partie de son plein gré et ne comprend la vérité qu'à la mort tragique de Marguerite (phtisie, un autre mot pour la tuberculose).
Un roman (et une pièce) à la fois tragique, réaliste et romantique. le succès fut immense, et dure encore. L'auteur joue sur la corde sensible, et aborde un sujet pas tellement nouveau (on a connu ce genre de personnages chez
Balzac) mais dans un sens différent : il défend une certaine catégorie sociale, en privilégiant le côté humain du personnage : le thème de la courtisane régénéré par un amour sincère, éminemment romantique, se double ici d'un ardent (bien que petit et timide) manifeste féministe avant l'heure, sur la condition des femmes dans la société (certaines femmes dans une certaine société, me direz-vous, mais c'est déjà un début).
Ce n'est que plus tard que Dumas Fils se tournera vers un théâtre à thèse, où les questions posées, quoique légitimes et même audacieuses (droits des femmes, des enfants illégitimes, des réprouvés) sont faussées par le conformisme étriqué d'une morale réactionnaire et intransigeante. Dumas restera l'homme d'une oeuvre (une oeuvre double : roman et pièce), qui, sans être un chef-d'oeuvre absolu, reste un des joyaux de notre littérature.